La danse orientale vue par Colette

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Née en Bourgogne en 1873, Colette est une femme de lettres, une romancière et une journaliste. Encore très jeune, elle épouse Willy, et part à Paris où elle côtoie le monde des arts et des lettres, ainsi que les cercles mondains. Elle devient le nègre* de son mari, puis le quitte, et gagne sa vie au music-hall, où elle présente, notamment, un numéro de pantomime orientale. Sa rencontre – et son mariage – avec Henri de Jouvenel lui ouvre les portes du journalisme, où elle excelle à décrire la vie sous toutes ses formes, dans un style ciselé au service de son art de l’observation.

Dans « Prisons et paradis » qui rassemble des textes écrits entre 1912 et 1932, Colette évoque une danseuse, qui lui est présentée comme une Ouled-Naïl durant un voyage en Algérie. Elle ne manque pas de saisir avec sagacité et justesse les éléments invisibles du rapport de force  entre les clients et la danseuse. Elle donne aussi une réalité à la femme décrite dans son quotidien, et ne se limite pas à l’image de la danseuse.

« – Ahmed, tu n’oublies pas de venir à neuf heures ce soir ?

– Non, m’sié.

– Et tu nous mènes chez Fatma ?

– Oui, m’sié.

– Fatma ou peut-être Zorah ou Yamina ou Aïcha… Tu vois qui je veux dire ? Une fille qui a dansé pour moi l’an passé, une fille magnifique, tu sais, qui est grosse d’ici, grosse de là… […]

Pendant qu’elle préparait le thé vert, nous la suivions de notre curiosité offensante d’étrangers. [ …] Elle n’avait plus guère de modestie orientale, et coquetait, en nous servant son thé parfumé et trouble dans des gobelets étroits de verre bleu, avec une effronterie cordiale de petite aubergiste franque. A la voir s’affairer, tisonnant son feu clair, remettant la bouilloire sur la cendre, offrant le sucre, nous évoquâmes quelque ménagère parée, ses terres, son bétail et sa vigne au-delà de la porte…Mais au-delà de la porte, à vingt mètres, c’était la fin de l’oasis, le bord abrupt de la tache verte et fertile perdue dans le désert.

"Charles Atamian"
« Charles Atamian »

Nous nous étonnâmes que Yamina, en dépit des tatouages bleus, des lourds joyaux du Sud et des paupières fardées, brillât d’une beauté quasi occidentale, en somme, et plus expressive que régulière…

[…] Elle ne parlait pas français, mais savait recevoir. Le thé bu et les cigarettes allumées, elle nous rangea, assis, contre la muraille, à côté de son beau lit de cuivre couvert d’un édredon américain, appela au-dehors le joueur de tambour et le clarinettiste et dansa pour nous.

Elle dansa, comme toute les Ouled-Naïl, avec ses bras et ses mains, les charmants pieds inquiets ne faisant que tâter le sol comme une dalle brûlante. Elle dansa aussi avec ses reins, et avec les muscles de son petit ventre énergique. Puis elle se reposa un moment, occupant son repos à dégrafer corsage liseré de rose, jupe à grand volant et chemise de madapolam commun, car le guide réclamait qu’elle dansât nue. Nue, elle revint au milieu de la chambre, entre nous et les deux musiciens qui maintenant lui tournaient le dos. Le feu rouge, le blanc sinistre de la flamme d’acétylène se disputèrent la très jeune beauté de Yamina, beauté légère et comme chasseresse, point accablée de gorge et ni de croupe.

Elle dansa, n’en sachant pas d’autres, les mêmes danses. Mais comme elle était nue, elle cessa de rire et nous reprit son regard qui ne daigna plus, désormais, rencontrer les nôtres. Son regard s’en alla, franchissant nos têtes, chargé d’une gravité et d’un mépris souverains, rejoindre, au loin, le désert invisible. »

* Larousse : « Personne qui travaille de manière anonyme pour un écrivain, lequel sera seul reconnu auteur du travail. »