La danse orientale du côté des petites filles

« Ne pas transformer trop tôt les petites princesses en femmes »

Depuis son essor dans les années 90, le marché de la danse orientale propose chaque année quantité de cours, parmi lesquels des cours pour fillettes et adolescentes.

En tant que danseuse orientale, je suis passionnée par cette gestuelle qui guide les femmes, avec bienveillance, vers la découverte, l’acceptation et l’épanouissement de leur féminité. C’est pourquoi, je pense que ce serait un discrédit pour la danse orientale de laisser l’appât du gain transformer trop tôt les petites princesses en femmes.

La fillette et l’adolescente ne sont pas des adultes en miniatures. Il convient de respecter la temporalité qui leur est propre. Tous les pédopsychiatres s’accordent pour dire qu’il est primordial que les parents respectent les étapes de la construction psychologique des enfants. L’infraction précoce de la sexualité de l’enfant n’est pas anodine.* 

Or, la danse orientale est liée à la sexualité. Connaître et maîtriser ce lien originel permet de poser les limites de l’enseignement de la danse orientale aux petites filles et aux adolescentes.

La danse orientale est liée à la sexualité

Par danse orientale, j’entends la danse pratiquée par les femmes dans l’intimité de leurs appartements, ou par les danseuses professionnelles dans le cadre des fêtes rythmant la vie quotidienne et dans les nightclubs au Moyen-Orient. Il ne s’agit pas des danses folkloriques, souvent désignées par le terme « danses orientales. »

Aux origines de l’humanité, la croyance que la fertilité de la terre et la fertilité humaine sont intimement liées est très répandue. Le pouvoir créateur de la femme est célébré, parce qu’il symbolise l’accroissement du monde en général et des récoltes en particulier. La femme est considérée comme ayant un rôle majeur dans la perpétuation de la vie. Concrètement, les danses pelviennes sont les manifestations de ce rôle. Elles éveillent et stimulent les dieux et les hommes. L’arrivée des monothéismes centrés sur un unique dieu masculin fait disparaître ces danses, ou les repousse aux frontières de la société. Malgré cette censure, certaines sont conservées et nous parviennent et ce qu’elles donnent à voir est le pouvoir créateur de la femme qui tend à l’accroissement du monde au moyen de la sexualité.

Il  faut comprendre la sexualité au sens large, symbolique et psychanalytique. Il ne s’agit pas de considérer la danse orientale comme la gestuelle d’une danseuse ‘objet sexuel’ dont la raison d’être est de séduire le spectateur. C’est tout le contraire. Les danses pelviennes visent à l’épanouissement des danseuses, à l’expression de leurs émotions et de leurs plaisirs, qui sont des manifestations du rôle de la féminité dans la perpétuation de la vie.

Dès lors, il est indispensable dans le cadre de la transmission de cette danse aux plus jeunes de respecter strictement leur développement psycho-affectif.

Rappel des règles qui s’imposent à l’enseignement de la danse classique, contemporaine et jazz 

L’enseignement de la danse classique, contemporaine et jazz constitue une profession réglementée. Ce n’est pas le cas de l’enseignement de la danse orientale, et ce n’est pas forcément souhaitable. Toutefois, la danse orientale revendique – avec raison – son droit à la reconnaissance. Pour être crédible, la danse orientale a tout intérêt à appliquer le règlement qui dispose que les enfants de 4 à 5 ans pratiquent un cours d’éveil corporel et que les enfants de 6 à 7 ans pratiquent un cours d’initiation à la danse. Un cours de danse orientale pour enfants s’adresse à des fillettes de 8 ans et plus.

Ce que donne à voir le costume deux pièces

Considéré par certains comme une odieuse concession faite à l’occident, le costume deux pièces hollywoodien s’impose dans le premier quart du 20ème siècle.  Il correspond à l’image de la danseuse orientale, telle que se la représente le public occidental. La nudité étant considérée comme érotique en occident, ce costume dénude le corps et traduit le caractère ‘sexuel’ de la danse.

Si les fillettes et les adolescentes rêvent de paillettes et de sequins quand elles arrivent dans un cours de danse orientale, elles ne sont pas en âge de comprendre ce qu’implique le port d’un tel costume. Dans leur innocence, c’est l’esthétique –indéniable – de la tenue qui les attire. Elles n’ont aucune idée de ce qu’elles donnent à voir. C’est donc aux adultes de les protéger et de ne pas transformer les enfants en ‘mini-adultes’ en les faisant entrer dans une réalité qui n’est pas la leur, une réalité qui les fragilise.*

Un justaucorps (à paillettes) une longue jupe (à paillettes aussi) un foulard (toujours à paillettes 😉 ) sur les hanches, quelques bijoux constituent une tenue de danse orientale pour les moins de 16 ans.

Enseigner des techniques, pas des stéréotypes 

L’enseignement des techniques de la posture, des pas, des enchaînements, de la psychomotricité et de la musicalité ne pose aucun problème. Par contre, il convient d’adapter le champs référentiel.

Le champs référentiel est constitué par les images auxquelles la professeure fait référence pour transmettre l’esprit d’un mouvement et parfaire son exécution. Par exemple, dans un cours adulte, dos au public, l’accent est un regard par-dessus l’épaule avec l’intention de croiser un regard ami, voire plus… 😉 Dans un cours enfant, le même mouvement est transmis avec l’idée que quelqu’un appelle la danseuse. Pourquoi cette subtilité ? Parce qu’il convient d’adapter le champs référentiel au vécu et à l’imaginaire des élèves, afin qu’elles puissent s’exprimer dans la danse et non pas devenir des images stéréotypées. Pour que les fillettes et les adolescentes réalisent leur féminité, il convient de ne pas leur imposer trop tôt des images toutes faites qui limitent leur potentiel personnel. Dans ce sens, les jeux avec les cheveux et les mimiques sont à proscrire.

Beaucoup de professeures de danse orientale témoignent que les femmes arrivent en cours de  danse orientale en s’excusant presque d’être ce qu’elles sont. Elles sont persuadées par les diktats du marché qu’elles ne valent pas grand-chose. Tout commence avec les fillettes – que nous avons été. Protégeons-les de ce marché qui veut limiter la féminité à un pâle objet sexuel, construit sur des mensurations fantaisistes et des accessoires. Donnons-leur le temps d’apprendre, de découvrir, de ressentir, pour qu’adultes, elles soient d’éclatantes incarnations de la Féminité, ce mystère sans cesse renouvelé.

* D’après le rapport « Contre l’hypersexualisation, un nouveau combat pour l’égalité » de Madame Chantal JOUANNO