La danse orientale vue par « Les Mille nuits et une nuit »

Crédit photo : TOMA Studio

Recueil de contes orientaux assemblés dans le contexte de civilisations musulmanes, les Nuits distinguent clairement deux catégories de danseuse.

Celle qui évolue dans le luxe des cercles privés, réservés à des amateurs choisis. Et celle qui danse en public.

Dans le premier cas, elle peut être une professionnelle, qui se rend chez ses clients à leur demande. Elle travaille souvent en compagnie d’autres danseuses et de musiciennes. Ses apparitions sont rémunérées.

Chez les plus fortunés, il s’agit d’une esclave qui appartient au harem. Son aptitude singulière pour la danse a été repérée. Dès lors, elle a bénéficié d’un enseignement et de privilèges, même si le chant et la musique sont des talents tenus en plus haute estime que la danse.

Les Nuits évoquent également l’une des sources de la danse orientale, savoir, la danseuse sacrée du temple indien.

Dans le second cas, la danseuse est assimilée à une femme « libre » comprendre n’appartenant à aucun homme, donc inapte à garantir un lignage. Souvent membre de familles tsiganes, elle a un style de vie nomade. De villes en campements, elle propose ses services. Qu’il s’agisse de divertissement ou de faveurs sexuelles, elle est considérée comme une paria par tous, y compris ceux-là qui l’emploient.

«  […] sa mère était une danseuse publique, une femme libre de la tribu errante des Ghaziyas, une fille de prostituée ! […]

Lorsque le sultan eut entendu cet aveu sans artifice, il se sentit soulagé d’un souci torturant et d’une inquiétude pleine de douleur. Car il s’était imaginé que sa favorite était la fille d’une prostituée d’entre les filles Ghaziyas, et il venait d’apprendre précisément le contraire, puisque, bien que Ghaziya, la mère était restée vierge jusqu’à son mariage avec l’intendant du palais. »*

Ainsi, quelle que soit la finesse de son art, la naissance s’oppose à la reconnaissance du mérite.

Crédit photo : TOMA Studio

A l’inverse, la danseuse des cercles d’exception reçoit les louanges des poètes : « Ah ! lève-toi, ah ! dépouille-toi, ah ! jette le voile, et, levant tes pieds légers, ô toute belle, danse le pas de la délice légère et de notre folie ! »*

C’est la légèreté de la danseuse qui est exaltée comme sa qualité première.

Dans plusieurs contes, elle est comparée à un oiseau : « Car oiseaux elles étaient, en toute vérité, et plus blanches que les colombes et plus légères, certainement. Car les filles des hommes pouvaient-elles être si harmonieuses et aériennes ? Et n’étaient-elles pas plutôt quelques variétés venues du palais d’Iram-aux-Colonnes, ou des jardins d’Eden, pour enchanter de leur séjour la terre ? »*

L’exécution épaisse, souvent associée à la danse orientale, ne semble donc pas être une de ses caractéristiques essentielles.

Crédit photo : TOMA Studio

« Elle dansa tous les pas, inlassable, et esquissa toutes les figures, comme jamais ne l’avait fait, dans les palais des rois, une danseuse de profession. Et elle dansa comme seul peut-être, devant Saül noir de tristesse, avait dansé le berger David. Et elle dansa la danse des écharpes, et celle du mouchoir, et celle du bâton. Et elle dansa les danses des Juives, et celles des Grecques, et celles des Ethiopiennes, et celles des Persanes, et celles des Bédouines, avec une légèreté si merveilleuse que, certes ! seule Balkis, la reine amoureuse de Soleïmân, aurait pu danser les pareilles.

Et quand elle eut dansé tout cela, quand le coeur de son maître, et celui du fils de son maître, et celui du marchand, l’invité de son maître, furent suspendus à ses pas, et leurs yeux rivés à la souplesse de son corps, elle esquissa la danse onduleuse du poignard. En effet, tirant soudain l’arme dorée de sa gaine d’argent, et tout émouvante de grâce et d’attitudes, au rythme accéléré du tambour, elle s’élança, le poignard menaçant, cambrée, flexible, ardente, rauque et sauvage, avec des yeux en éclairs, et soulevée par des ailes qu’on ne voyait pas. Et la menace de l’arme se tendait tantôt vers quelque ennemi invisible de l’air, et tantôt se tournait de la pointe vers les beaux seins de l’adolescente exaltée. Et l’assistance, à ces moments-là, poussait un long cri d’effroi, tant le coeur de la danseuse paraissait proche de la pointe mortelle. Puis peu à peu, le rythme du tambour se fit plus lent et la cadence fraîchit et s’atténua jusqu’au silence de la peau sonore. Et Morgane, la poitrine soulevée comme une vague de la mer, cessa de danser.

Et elle se tourna vers l’esclave Abdallah qui, à un nouveau signe de sourcil, lui jeta, de sa place, le tambour. Et elle l’attrapa au vol et, le retournant, elle s’en servit comme d’une sébile pour aller le tendre aux trois spectateurs et solliciter, selon la coutume des almées et des danseuses, leur libéralité. »*

* Extraits des « Mille et une nuits », traduction de Joseph Charles Mardrus

La danse orientale vue par Victor Schoelcher

Crédits : inconnus

Né en 1804 dans une famille bourgeoise d’origine alsacienne, Victor Schoelcher se consacre au journalisme après avoir suivi une scolarité au collège Louis-le-Grand et au Lycée Condorcet. En 1829, il voyage au Mexique, à Cuba et aux Etats-Unis où il prend la mesure de l’ignominie du système esclavagiste. Humaniste et républicain convaincu, il met alors son intelligence et son énergie au service de l’abolition. Son engagement aboutira à la signature des décrets du 4 mars 1848 et du 27 avril 1848 abolissant l’esclavage. Décédé en 1893, il entre au Panthéon le 20 mai 1949.

En 1844, il voyage en Egypte dans le cadre de son enquête sur l’esclavage dans le monde.

L’Egypte est alors gouvernée par Méhémet Ali qui s’est allié aux militaires et aux ulémas pour imposer son pouvoir à l’Empire ottoman, aux Mamelouks et aux anglais. Pour soutenir son règne, il asservit la population. L’arbitraire règne et le recouvrement des nombreux impôts se fait dans la plus grande brutalité : « Lasser le bourreau est le seul moyen qu’ait le contribuable de prouver qu’il ne possède plus rien. »

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La danse orientale vue par Gibran Khalil Gibran

Crédit photo : Patrice BUCHER

« Elle dansa la danse des flammes, celle des épées et des lances ; elle dansa la danse des étoiles et celle de l’espace. Puis elle dansa la danse des fleurs dans le vent »

La parabole intitulée La Danseuse est extraite du recueil L’Errant paru en 1932, un an après la mort de Gibran Khalil Gibran.

Dès les premiers mots, le lecteur est transporté en des temps immémoriaux en un lieu qui n’a pas d’existence réelle mais dont le nom évoque un orient imaginaire.

C’est pourquoi cette parabole est souvent associée à la danse orientale, celle des temples et des palais des cités antiques du Moyen-Orient. Continuer la lecture de « La danse orientale vue par Gibran Khalil Gibran »

La danse orientale vue par Colette

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Née en Bourgogne en 1873, Colette est une femme de lettres, une romancière et une journaliste. Encore très jeune, elle épouse Willy, et part à Paris où elle côtoie le monde des arts et des lettres, ainsi que les cercles mondains. Elle devient le nègre* de son mari, puis le quitte, et gagne sa vie au music-hall, où elle présente, notamment, un numéro de pantomime orientale. Sa rencontre – et son mariage – avec Henri de Jouvenel lui ouvre les portes du journalisme, où elle excelle à décrire la vie sous toutes ses formes, dans un style ciselé au service de son art de l’observation.

Dans « Prisons et paradis » qui rassemble des textes écrits entre 1912 et 1932, Colette évoque une danseuse, qui lui est présentée comme une Ouled-Naïl durant un voyage en Algérie. Elle ne manque pas de saisir avec sagacité et justesse les éléments invisibles du rapport de force  entre les clients et la danseuse. Elle donne aussi une réalité à la femme décrite dans son quotidien, et ne se limite pas à l’image de la danseuse.

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