Sur ces terres peuplées depuis le Paléolithique inférieur, vivent des tribus. C’est en Provence qu’ont été retrouvées les traces les plus anciennes attestant de la domestication du mouton.
Vers 600 av.J.C, des marchands grecs fondent Marseille. Ils implantent et répandent la culture de l’amandier, de l’olivier et de la vigne. Leurs modèles d’habitat et de production sont peu à peu adoptés par les autochtones.
Vers 400 av.J.C, des populations celtes s’implantent dans les plaines. Naissent alors les celto-ligures, dont l’élite réunit et organise certaines tribus au sein de la confédération des Salyens.
En 122 av.J.C, les romains établissent leur première colonie Aquae Sextiae Salluviorum (Aix en Provence) Dans les campagnes, les techniques agricoles romaines donnent naissance à un ensemble de villae, splendides domaines fonciers, où sont réunies les activités de récolte et de transformation. Il s’agit de productions plutôt soutenues à destination de la vente, qui emploient une main d’oeuvre nombreuse.
Au Ve siècle, les invasions barbares débutent. Burgondes et Wisigoths se partagent les terres de Provence, avant que les Ostrogoths s’y taillent une part royale.
Charles Martel réprime dans le sang ce qui est considéré comme une rébellion. Les provençaux sont défaits en 739.
Cela n’empêche pas l’installation de sarrasins dans le Massif des Maures, au dessus de Saint-Tropez. Ils fixent leur repaire à La Garde-Freinet. Depuis ce point, ils organisent des razzias sur toute la Provence.
Il faut attendre 974, pour que les frères Guillaume et Roubaud, fils du comte d’Arles, les vainquent définitivement.
A Forcalquier, nichée entre le massif du Luberon et la montagne de Lure, Alaëte et sa servante se rendent au lavoir. C’est la fin d’une journée ensoleillée. Le linge lavé le matin a séché sur le pré. Les deux femmes s’entraident pour le plier et le placer avec soin dans la panière ronde.
Chacune saisit une anse pour remonter le sentier vers la route. Là, précédé d’une vibration et encadré d’un nuage de poussière, un groupe de cavaliers lancé à vive allure vient vers elles et s’arrête à leur hauteur.
Les caparaçons des chevaux, les habits des hommes et leurs armes font reconnaître des sarrasins.
Puis l’amène sarrasin se présente comme étant l’émir Omar ibn Mansour, Omar « fils de Mansour ». Peut-être est-il un des enfants du roi d’Al Andalus, l’ancien chambellan devenu « malik », Ibn Abî ‘Amir, dit al Mansour, « le Victorieux. »
Alors, la conversation s’engage sur un ton agréable et désinvolte.
En Méditerranée, le regard suffit à dévoiler le destin. Chacun est parfait à la limite de la perfection pour le coeur de l’autre. Leurs raisons s’envolent. Ce qui est écrit s’accomplit.
Cependant, Omar questionne quant à l’état d’esprit des forcalquiérens. Seraient-ils prêts à payer un tribut ou faudra-t-il les combattre ?
Aucune négociation n’est envisageable selon Alaëte.
A cette réponse, le monde noircit devant le visage d’Omar. Utiliser la force contre la ville où vit la lumière de son œil rétrécit sa poitrine. Il salue les deux femmes en leur souhaitant la protection du Très Haut et se recommande à leur compassion.
L’un d’eux est le père d’Alaëte. Avant que le cimeterre s’abatte, la jeune fille s’élance pour demander grâce. Sa voix couvre les ordres donnés en arabe et les gémissements en provençal. Omar l’entend. Il arrête le bras armé et place sous sa protection l’entière famille d’Alaëte.
A la veille de son départ, l’émir propose à la jeune fille de l’épouser. Il place sous sa main sa félicité et sa fortune. Elle refuse au nom de sa foi chrétienne. Alors, la légende raconte qu’Omar embrassa longuement la paume d’Alaëte en lui jurant la sécurité pour la ville. En retour, elle promit que nulles autres lèvres ne la toucheraient.
Dix années s’écoulent. De temps à autre, les échos d’attaques de telle ou telle ville arrivent jusqu’à Forcalquier, qui prospère dans la tranquillité.
Puis, un jour d’entre les jours, un colporteur apporte à Alaëte un paquet de la part de « l’émir de la montagne ». Il s’agit d’un collier d’or et de corail, délicate œuvre de la joaillerie arabe.
Elle en pare le buste de la Vierge.
En effet, les mœurs de l’époque permettent à Omar de contraindre Alaëte à une union licite ou à une vie servile. Aucune force autre que l’honneur ne l’oblige à contenir la violence de ses sensations.
Toutefois, il est intéressant de garder à l’esprit que cette histoire est mise en forme dans un contexte où la religion chrétienne est menacée.
Présenter le sarrasin comme l’incarnation du mal manque de finesse. De surcroît, la brutalité et la cruauté s’observent en maintes circonstances. Ne vaut-il pas mieux le faire succomber à la puissance de la foi d’une vierge incorruptible ?
En ce sens, Alaëte est décrite comme possédant un visage de « Vierge céleste » et le « port d’une madone ». Durant le sac de la ville, sa demande de grâce est entendue au mitan du tumulte du pillage. Elle renonce à l’amour terrestre, puisqu’elle dédie le gage de l’amant à la Vierge.
Or, au XIe siècle, dans la civilisation musulmane, la continence exaltée par les chrétiens est considérée comme une calamité et une offense à la vie. C’est pourquoi vieillir vierge est un déshonneur.
Ainsi, le choix d’Alaëte serait une insulte à l’idéal musulman et une victoire de la norme chrétienne. Il incarne la déchirure prêchée par les puissants des deux camps, motivés par la conquête de l’hégémonie.
* Camille Arnaud