Hors les descriptifs de ses voyages, qui l’ont conduit, entre autres, à Ispahan, à la cour du sultan de Dihli, dans les Maldives et au Soudan, peu de choses sont connues sur Ibn Battûta. Né à Tanger en 1304, il quitte sa ville natale pour La Mecque alors qu’il est âgé de 21 ans.
C’est qu’il a dans l’esprit de devenir savant dans le délicat domaine de la religion, de son histoire, des actes qu’elle commande et de la jurisprudence qu’elle fonde. Cette carrière impose l’obtention de certificats auprès de maîtres attestés.
L’enseignement est oral. L’élève se rend auprès du maître, qui est un maillon de la chaîne ininterrompue d’élèves et de maîtres. Elle remonte soit au Prophète en personne, soit à l’un de ses premiers compagnons.
Une fois que l’élève peut prouver qu’il a été instruit, il devient un lettré consulté sur les épineuses questions dont les réponses structurent la vie de la communauté. A charge pour lui d’équilibrer, avec finesse, érudition et pragmatisme pour connaître une vie large à l’abri des vicissitudes de la fortune.
Quand Ibn Battûta entame son voyage, le monde de l’islam s’étend des steppes de la Russie à l’Espagne. L’unité de la pratique religieuse, que ce voyageur s’applique à rechercher, et à démontrer, est bousculée par les divisions internes, et la diversité des groupes sociaux qui embrassent l’islam. Cela étant, le pouvoir d’assimilation du cadre islamique demeure efficace.
Politiquement, plusieurs royautés se partagent ce vaste espace, sur lequel il leur arrive de croiser le fer. Le califat abbasside siège au Caire, où il a trouvé refuge, après que les mongols aient pris Bagdad en 1258. Mais le pouvoir est exercé par les dynasties mameloukes.
Ces dynasties règnent sur l’Egypte, le Hedjaz, la Palestine et la Syrie. Leur culture constitue la clef de voûte de l’orthodoxie islamique. Quant à la dernière enclave latine, elle a disparu depuis 1291.
De Gaza à Alep, ce sont des terres florissantes qui s’offrent au regard. L’activité humaine y est très variée et source de productions raffinées, telles celles des textiles, des fruits et des huiles.
Ibn Battûta raconte les vergers, grands, les plaines, vastes et fertiles, l’eau, abondante et douce, les marchés couverts, bien achalandés, propres et dotés de larges rues, l’architecture, lumineuse, les confiseries, exquises. Sans oublier les norias qui inspirent les poètes.
Voici quelques évocations au mitan d’autres…
« […] la ville de Ghazzah, qui est la première ville de Syrie du côté de l’Egypte. Elle est vaste, bien peuplée, ornée de belles places et de nombreuses mosquées, et elle n’est pas entourée de murs. […] C’est un édifice [la mosquée] d’une construction très élégante, fort solide, et sa chaire est en marbre blanc. »
« C’est une ville considérable [Naplouse], ayant beaucoup d’arbres et des fleuves qui coulent abondamment. C’est, d’ailleurs, une des villes de la Syrie les plus riches en oliviers. On en exporte de l’huile au Caire et à Damas. On y fabrique la pâte de kharroûb, qu’on exporte à Damas et dans d’autres pays. »
Même profusion pour la ville de Homs dont les arbres sont touffus, les fleuves remplis d’eau et les marchés fournis de larges voies de communication.
Hama suscite l’émerveillement du voyageur : « […] Hamâh, une des métropoles les plus nobles de la Syrie, et une de ses villes les plus admirables. Elle possède une beauté resplendissante et une grâce parfaite ; elle est entourée de jardins et de vergers, près desquels on voit des roues hydrauliques, qu’on prendrait pour des globes célestes qui tournent.
Dans Hamâh, il y a beaucoup de fruits, parmi lesquels celui appelé abricot à amande ; car, lorsqu’on casse son noyau, on trouve à l’intérieur une amande douce. »
D’autres voyageurs versifient le charme irrésistible de cette ville :
« Que Dieu protège les points de vue qui bordent la ville de Hamâh, et sur lesquels j’ai attaché l’ouïe, la pensée et le regard !
Des colombes qui chantent, des branchent qui s’inclinent, des édifices qui brillent et qu’on est impuissant à décrire. »
De même, Alma’arrah et ses riches vergers de figuiers, pistachiers, abricotiers, oliviers, grenadiers et pommiers, dont les récoltes sont exportées.
De la prospère culture des oliviers, les habitants de Sermîn fabriquent « le savon en briques, qu’on exporte au Caire et à Damas, et aussi le savon parfumé, pour laver les mains, qu’on colore en rouge et en jaune. » Des vêtements de coton y sont également produits.
Quant à Alep, c’est « […]une ville excellente, qui n’a pas sa pareille pour la beauté de l’emplacement, la grâce de sa disposition, la largeur de ses marchés et leur symétrie. Ils sont recouverts d’une toiture en bois, et les habitants y trouvent toujours de l’ombre. La kaïçâriyah d’Alep est unique pour la beauté et la grandeur. Elle entoure la mosquée, et chacune de ses galeries est placée en face d’une des portes du temple. La mosquée djâmi d’Alep est une des plus jolies qu’on puisse voir. Dans sa cour, il y a un bassin d’eau, et tout autour d’elle règne une chaussée pavée très vaste. […] il y a dans la ville trois autres collèges et un hôpital. »
Extraits de Ibn Battûta, « Voyages, de l’Afrique du Nord à La Mecque »