Au Caire, la guerre entre les différents services de police (rattachés à l’armée d’après ce que j’ai cru comprendre) fait rage. Les trafics se développent avec la complicité des autorités du quartier qui vendent leur silence. Les malchanceux qui passent par le commissariat se voient automatiquement dépouillés de leur argent liquide sans qu’aucune protestation ne franchisse la barrière de leurs lèvres. Et, à vrai dire, quand on voit dans quelles conditions les policiers travaillent, on en arrive à penser qu’il vaut mieux qu’ils volent s’ils veulent avoir de quoi mettre de l’essence dans leurs voitures ou payer une heure d’internet…
Dans ce contexte, un petit malin met sur pied un très lucratif système de chantage visant des hommes de pouvoir, qui aboutit au meurtre d’une jeune chanteuse. Noureddine Mostafa est en charge de l’enquête. Aussi corrompu soit-il, il va rechercher la vérité alors que les premières manifestations de la révolution égyptienne sont réprimées (janvier 2011).
J’ai adoré ce film.
D’abord, parce qu’il est merveilleusement bien filmé. Les plans appartiennent à la grande tradition des films noirs et la photo est magnifique. D’un point de vue formel, il est classique, simple et élégant. La misère – matérielle et spirituelle – qui sévit en permanence est rendue supportable par l’art du cinéaste.
Ensuite, il est parfaitement écrit. Le cynisme devenu habitude chez les protagonistes est servi par des situations et des dialogues où l’humour est souvent présent. L’humour noir, pour qui sait que l’humour peut être l’arme [et larmes] des désespérés.
Et puis, son sujet est universel. La loi du plus fort conduit inévitablement à ces situations sans issue où chacun vit dans la crainte d’être la proie et tente d’être le prédateur. Je trouve parfaitement légitime de l’associer à l’œuvre de James Ellroy « L.A. Confidential » : même ambiance désespérée, même tribulations d’égos qui putréfient toutes les relations, même corruption de ceux-là qui sont censés représenter l’ordre. « Le Caire Confidentiel » m’a aussi fait penser à « L’Echange » de Clint Eastwood, tant pour le classicisme de la forme que pour la révélation d’une société gangrenée et mortifère.
Enfin, ce film plonge le spectateur dans un pays réel, éloigné de celui rêvé par les touristes et imaginé par les nostalgiques et les idéologues. La brutalité ne sécrète aucune culture. Elle nourrit des habitudes dont héritent les générations condamnées.
D’ailleurs, Tarik Saleh s’est inspiré du monde réel pour écrire ce film. En 2008, une chanteuse de variété, Suzanne Tamim, est retrouvée égorgée chez elle, à Dubaï. Le procès, après de nombreux rebondissements, a conclu à la culpabilité de son amant, un magnat de l’immobilier et député égyptien, et de son homme de main.
Ce film a été récompensé aux festivals de Sundance et de Beaune.