Le moineau dans la salle de bal
Nous l’oublions, mais notre passage sur cette terre est bref. Nous apparaissons dans le monde comme un moineau égaré entre dans la lumière d’une salle de bal. Et, à peine profitons-nous de cette lumière, qu’il est déjà temps pour nous de sortir.
De mon passage, je retiens quelques lumières exceptionnelles, et deux sont particulièrement chères à mon cœur de danseuse.
A Vérone, la magie
Je débarque dans la ville de Roméo et Juliette par un beau matin d’été. Mes principaux bagages sont un lecteur CD puissant et une écuelle en bois d’olivier, qui m’ont été offerts par une amie, spécialement pour l’occasion. Après un rapide repérage, je m’installe au croisement entre la rue où se situe la maison de Juliette (dit-on…) et une rue adjacente. Les deux sont piétonnes, et, à l’heure de la passeggiata, il y a foule.
J’installe le lecteur de CD par terre. Quand je me retourne pour déposer l’écuelle de l’autre côté du cercle de danse, je tombe nez à nez avec une foule dense, attentive et accueillante. Je danse. J’invente un univers où se mêlent les gestuelles de l’orient, de l’Inde, du moyen-âge et de la danse classique. Tout se passe merveilleusement bien, j’entends le bruit que font les pièces quand elles touchent le bois. Soudain, surgissent dans mon champs de vision deux uniformes de la police municipale : « Lei ha l’autorizzazione, Signorina ? » Je ne me rends pas bien compte de ce qui se passe. Je continue de danser en répondant que je n’ai pas d’autorisation. Alors, ils me demandent d’arrêter. Tandis que j’éteins la musique, ils m’expliquent que je peux me rendre à l’hôtel de ville pour demander une autorisation d’occupation du domaine public. Puis, ils disparaissent aussi vite qu’ils sont apparus. Je m’apprête à partir, quand deux jeunes hommes viennent vers moi : « Continuez de danser, nous faisons le guet. » Et devant mon hésitation : « Ils ne reviendront pas. Continuez de danser. » La foule patiente, certaine que le spectacle va reprendre. Alors je danse, et je danse encore…Protégée par deux jeunes hommes dont je ne connais pas les noms, mais que j’associe définitivement à ce moment de pure magie.
Aux pieds d’un château en ruines, le merveilleux
Je travaille avec des musiciens. Nous paradons dans les rues de la ville. Dans la matinée, je remarque un petit garçon hypnotisé par le spectacle. Discrètement, lui et sa Maman suivent notre troupe, et, à chaque halte, quand le cercle se forme pour regarder la danse, il est au premier rang. Il a un beau visage, ouvert et intelligent, et des yeux qui perçoivent, au-delà du divertissement, toute la beauté de la danse. A la fin de la journée, sa mère m’accoste. Avec tendresse, elle guide son fils vers moi. Il avance, impressionné, mais pas démonté. Il tient un paquet cadeau qu’il me tend des deux mains. L’émotion me paralyse. Je le remercie gravement, et je défais le papier pour découvrir une fine poupée de porcelaine. Je me sens démunie et incapable d’exprimer mes sentiments. Je dis des choses très bêtes et très banales. Je réalise que quand l’innocence voit en nous la beauté, aucun mot ne suffit pour lui exprimer notre gratitude.
Depuis, la poupée est rangée dans ma commode. Je la vois tous les jours, et je souhaite chaque fois que celui qui me l’a offerte soit heureux. En souvenir de ce moment unique et merveilleux.