France Télévision a récemment programmé ce film sorti en 1970.
Le titre français « Seule contre la mafia » réduit considérablement la richesse des approches avec laquelle est traité le sujet, ce qui le rend éminemment actuel.
En Sicile, peu après le tremblement de terre de 1968, Vito Juvara est pressenti par son oncle, parrain de la famille, pour lui succéder.
A son palmarès, le silence qu’il a gardé alors qu’il était enlevé et battu toute une nuit durant par les hommes de main de la famille adverse. Certes, il n’était pas au fait de ce qu’ils voulaient savoir. Mais il a choisi les coups plutôt que de dévoiler son ignorance, preuve évidente de son peu d’importance dans la hiérarchie.
Pour être tout à fait digne d’hériter, il doit se marier, afin d’occuper son esprit par les deux uniques valeurs respectables que sont la famille et le travail.
De là le titre en italien qui prend tout son sens. Il doit trouver la plus belle des épouses, comprendre, la plus soumise. En ce sens, le parrain lui conseille de la choisir pauvre, car les conditions matérielles pénibles brisent très surement les volontés et les rêves.
Justement, le tremblement de terre a contraint de nombreux prolétaires, déjà dans la gêne, a vivre dans des baraquements. Ils sont désignés comme « les sinistrés ». En attendant que les autorités se souviennent d’améliorer leur condition, échéance qui semble lointaine, ils vivent d’expédients plus ou moins légaux.
Parmi eux, la gracieuse et élégante Francesca Cimarosa, âgée de 15 ans, qui excelle à la broderie des trousseaux. Fille de paysans, sa beauté conquiert Vito, qui l’observe tandis qu’elle tire l’aiguille devant le pas de sa porte.
L’arrogance n’empêche pas la perspicacité. Vito tombe amoureux d’une jeune fille dont il devine la singularité. Il se trouve beaucoup de finesse dans la remarque qu’il fait sur la qualité d’une broderie. Selon lui, elle dépend autant de l’habileté de la main, que des pensées qui animent l’âme de celle qui s’applique à la tâche.
Seulement Francesca, aussi pauvre soit-elle, veut se marier par amour à un homme qui la respecte. Même au plus fort du conflit, elle s’adresse à Vito comme à un égal, et, là où il tente d’imposer la force et la richesse, elle oppose avec intelligence et calme une attitude d’amoureuse digne, qui aspire à une relation sincère empreinte de justice.
Cela conduit à une rupture le jour où elle ne se présente pas au mariage civil planifié unilatéralement par Vito.
Cette offense contre son honneur, que soulignent dans un affront les membres de la famille adverse, l’entraîne à enlever pour la violer Francesca. En effet, en l’absence de virginité, la morale enlève à la femme tout espoir de mariage, à moins qu’elle ne fasse un « mariage réparateur » en épousant son violeur. Ce qui équivaut à sa soumission.
Mais, à la surprise générale, Francesca ne va pas à l’autel. Elle se rend à la police pour porter plainte. Son acte de résistance secoue vigoureusement l’ordre établi et met chacun face à ses lâchetés. Le drame se noue, dans lequel les femmes et le curé ne jouent pas la meilleure part.
Le premier bonheur est la forme du film.
Chaque plan porte son message, ce qui le rend abouti et esthétique. Par contraste, la purée habituelle pleine de vides et d’effets des films contemporains apparaît encore plus insignifiante.
Les dégâts du tremblement de terre sont un décor tragique qui figure à merveille le séisme psychique que provoque le viol de Francesca.
Quant au sujet, il est inspiré par l’affaire Franca Viola, qui est la première femme à avoir porté devant la justice la question du « mariage réparateur » lequel est prévu par le code pénal italien jusqu’en 1981. Aux termes de cette disposition légale, les poursuites tombent si le violeur épouse sa victime. Le fondement philosophique de ce principe est que le viol est une atteinte à la morale publique, non à la personne. C’est en 1996 que cette conception est réfutée.
« La moglie più bella » rappelle très utilement la fragilité du droit fondamental de disposer de soi face aux forces obscures qui gouvernent les groupes sociaux.
Le coup de maître est d’avoir réussi tout au long du film à conserver en arrière plan l’évidence que ces deux amoureux auraient connu la félicité, si le code archaïque auquel obéit Vito l’avait laissé libre de ses sentiments.
A un degrés moindre, il est aussi une victime. La soumission des femmes conduit à l’emprisonnement des hommes.