Souhair Zaki, la douce étoile du Caire

En 1952, le Mouvement des officiers libres dirigé par le général Mohammed Naguib renverse la monarchie égyptienne. La République égyptienne est proclamée et son programme tient en 6 points révolutionnaires : fin du colonialisme et du féodalisme, fin de la domination du capital sur le pouvoir politique, établissement de la justice sociale, instauration d’une vie démocratique stable et formation d’une armée nationale.

En 1954, le brillant et charismatique lieutenant-colonel Gamal Abdel Nasser devient le deuxième président de la jeune République égyptienne. Il succède à Naguib jugé trop proche des Frères musulmans.

Née en 1944 ou 1945, Souhair a une dizaine d’années quand souffle sur l’Egypte ce vent de renouveau et de liberté. Elle a perdu son père dans son jeune âge et a quitté sa ville natale de Mansoura pour Alexandrie à l’âge de 9 ans. Sous la direction de son beau-père, elle commence à danser dans les nightclubs (le terme de cabaret désigne des établissements de bas étage. Pour aller plus loin : Badia Masabni : la Civilisatrice) grecs où son style est remarqué par un public cosmopolite et conquis par les idées progressistes.

Forte de ces premiers succès, elle s’installe au Caire où la vie nocturne est à son apogée. L’industrie du cinéma est également en plein essor (pour aller plus loin : Les préjugés sur la danse orientale : Le cinéma, allié ou ennemi ?) Souhair se produit sur des scènes de plus en plus prestigieuses et devient célèbre. Elle auditionne pour un poste de présentatrice à la télévision, mais elle n’est pas engagée. Elle est plus douée pour la danse, et le cinéma fait d’elle une notoriété internationale. Elle tourne dans une centaine de films, des comédies mineures pour la plupart, mais qui ont le mérite de lui conférer une aura de star.

Elle danse pour Nasser, le Shah d’Iran, Sadate et Nixon. Une polémique existe pour savoir si elle est la première danseuse à avoir dansé sur une chanson d’Oum Khaltoum, en l’occurrence le titre Enta Omri (Tu es ma vie). Quoiqu’il en soit, elle aurait reçu l’approbation de la diva et Sadate aurait dit : « Elle [Oum Khaltoum] chante avec sa voix, vous chantez avec votre corps. »

Dans les années 1990 éclate la guerre du Golfe qui soulève une vague conservatrice dans le pays. Les nightclubs ferment et les danseuses orientale redeviennent des parias. Souhair se retire.

Souhair serait une autodidacte. Elle aurait dansé dès son plus jeune âge, en écoutant les musiques diffusées par la radio. Elle se serait inspirée des stars du Casino Badia : Samia Gamal et Tahia Carioca. Mariée et mère d’un fils, elle confie qu’elle doit ses plus beaux souvenirs à la danse orientale.

Crédit photo : Inconnu

Son style se distingue

par son travail de hanches

particulièrement raffiné

où se mêlent roulés

délicats et accents nets.

Soliste émérite, elle

s’appuie sur sa remarquable

musicalité pour proposer

une grande variété de

mouvements dans un

espace réduit.

Crédit photo : Inconnu

Alors que la tendance tourne à l’emploi de chorégraphes, aux effets scéniques, aux figurants et aux costumes scabreux, elle conserve durant toute sa carrière son style naturel et élégant qu’elle développe au gré de son inspiration. Des yeux souvent mi-clos, un sourire coquet et une expression innocente sont ses atouts finals pour ensorceler le public.

Son point faible est son travail des bras assez fruste et embarrassé de moulinets de poignets qui détonne avec la douceur et le fini du travail de ses hanches.

Elle a laissé en héritage des pas et des enchaînements qui portent parfois son nom, et un chauvinisme assumé à l’égard des danseuses orientales non égyptiennes : « Elles [les danseuses orientales non égyptiennes] ne seront jamais au niveau des danseuses orientales égyptiennes. Elles n’ont pas l’espièglerie, elles n’ont pas le sens de l’humour et elles n’ont pas la musicalité…Elles dansent seulement les pas qu’elles ont appris. 1,2,3,4. Mais elles n’ont pas l’âme. Elles ne nous battrons jamais. »

Enfant d’une Egypte qui s’ouvre sur le monde, elle paraît terminer sa vie repliée sur ses souvenirs de l’âge d’or du Caire, libéré et cosmopolite. Comme encore beaucoup de personnes, elle semble ignorer que nul ne sait où la danse orientale est née et qu’elle a été pratiquée et transmise par des femmes de toutes origines géographiques durant des millénaires. Standardiser la danse orientale à la seule forme qui s’est développée dans les nightclubs du Moyen-Orient à la fin du 19ème siècle et durant une grande partie du 20ème siècle, c’est faire fi de sa dimension spirituelle et de sa profondeur, et la condamner à agoniser dans les bas-fonds de l’âme humaine.

Souhair, qui déclare vouloir honorer la danse orientale comme un art, semble ne pas savoir qu’aucun art n’a de pays, hors le cœur de l’artiste qui s’y consacre. Et qu’aucun artiste n’est la totalité et la fin de son art, car l’art est infini.

Le chauvinisme n’empêchant pas le sens des affaires, depuis 2001, elle enseigne et danse au Festival de danse orientale organisé par Raqia Hassan. Festival dont la fierté est d’accueillir des stagiaires venues du monde entier… 😉