La « sagesse populaire » de nos jours incarnée par les vignettes Facebook, qui diffusent des phrases toutes faites attribuées à des auteurs qui n’ont, généralement, jamais écrit ou dit cela, affirme que ce qui ne tue pas rend plus fort.
C’est faux. Ce qui ne tue pas blesse.
L’enjeu est de continuer en faisant autrement.
Après ma maîtrise de droit, j’étais reçue en cycle de recherches d’histoire du droit et à la préparation à l’entrée à l’institut régional d’administration. Ces deux opportunités me laissaient dans l’indécision. D’autant que la danse orientale, que je pratiquais professionnellement depuis deux ans, était déjà toute ma vie. Mais le récit majoritaire ne plaidait pas en sa faveur. Sécurité, sécurité …
Je m’ouvrais de ce dilemme à ma mentor et costumière, Rita. Elle eut cette réponse nette et courte : « Tu ne te mettras pas à la danse à 40 ans. Une carrière universitaire, cela se reprend. »
Et je fus, et je suis, danseuse orientale.
Danser et vieillir ne me semble pas un obstacle. Vieillir est une discipline. Il suffit de ne pas sombrer dans le triptyque petit bourgeois blé – bouffe – baise. Je l’ai toujours trouvé lamentable, je suis protégée.
Mais j’avoue que je n’avais jamais pensé que je puisse être blessée au point de devoir arrêter de danser. D’ailleurs, il valait mieux que je n’y pensasse pas, car l’idée de devoir me résigner à une « vie normale » était terrifiante. La chute fut autant physique que psychique.
D’abord, la découverte d’un ligament, qui me quittait alors que je ne le connaissais pas. Autant dire que nous n’avons pas eu le temps de nous aimer, ce que je regrette. Je réalisais brutalement que ma quête de beauté et d’élégance reposait sur la coopération d’un système précieux et invisible sous la peau. Un équilibre que j’avais quelque peu négligé durant ces deux années noires d’arrêts et de reprises, de civilisation de surveillance et d’angoisses infondées.
Ensuite, j’acceptais d’entendre qu’il allait falloir faire autrement. Au début, je tombais dans le déni, persuadée que les choses devaient reprendre leur cours. La Faculté, ombrageuse, fut néanmoins patiente. Il fallut se rendre à l’évidence : la méthode devait changer.
Je dois cette amélioration de moi-même à deux personnes. Mon partenaire professionnel et ami Jean-Claude Le Riboteur, qui m’a précédée sur ce chemin. A 35 ans, un médecin lui a affirmé qu’il ne danserait plus. Il a donc ouvert son studio où il officie avec grâce et fantaisie 😉 Et à la rencontre, au cours d’un spectacle, avec une professionnelle qui a pris en main – de fer – le problème du déverrouillage. Moi qui ai toujours eu la réputation de voyager léger, me voilà affublée de 6 kilos d’haltères 😛 – violettes girly, puisque je les ai à vie, autant qu’elles soient féminines – et d’une panoplie d’élastiques – couleurs en fonction de la résistance, pas le choix 🙁 – pour pratiquer mes exercices quotidiens où que je me trouve.
Enfin, j’apprenais à faire autrement. J’envisageais cela non comme une contrainte, mais comme un raffinement. L’isolation, après tout, est un de mes arts. Serrer des muscles qui, jusqu’à présent, jouaient un rôle secondaire dans le mouvement est un nouveau savoir, et la connaissance est un des buts de ma vie.