La culture peut se définir comme une innovation individuelle adoptée par la société et les moyens mis en œuvre pour sa transmission. Les récentes avancées de l’éthologie établissent que bien des comportements autrefois qualifiés de « naturels » seraient en fait « culturels ».
L’anthropologie de son côté démontre que les sociétés humaines s’organisent autour des réponses qu’elles apportent à ces trois questions : qu’est-ce qui est Beau, qu’est-ce qui est Juste, qu’est-ce qui est Sacré. Les réponses apportées sont arbitraires. L’important est qu’elles fassent consensus au sein de la société et qu’elles permettent d’établir les règles qui vont créer les conditions matérielles et spirituelles d’existence.
En France, en matière de danse, les critères de la Beauté sont le travail des jambes, le brillant de la technique, la puissance, la mixité (quoique souvent chaque sexe ait des pas et des rôles bien déterminés), la représentation sur scène et la nécessité d’un récit ou, plus récemment, le développement d’un concept.
A la lumière de ces critères, il est aisé de comprendre pourquoi la danse classique, la danse contemporaine, et très nouvellement le hip hop sous certaines formes, soient considérés, plus ou moins consciemment, comme La Danse.
Sont en revanche considérées comme des danses mineures toutes les autres, dont la liste, non exhaustive, pourrait comprendre : les danses latines, la danse orientale, le modern jazz, les danses historiques, la pole dance…aux motifs qu’elles ne remplissent pas les critères arbitrairement posés et qu’elles ne nécessiteraient pas autant de travail et de technique.
Les danses folkloriques, quant à elles, bénéficient d’une niche ; elles sont considérées comme faisant partie du patrimoine et de l’histoire du territoire sur lequel elles sont présentes. Ce qui est partiellement inexact, puisque le concept de folklore est né seulement au 19ème siècle en réaction au centralisme parisien. Les normes des danses folkloriques ont donc été fixées récemment.
En France, la distinction entre La Danse et les danses mineures conditionne la pratique de la danse et la survie de ceux et celles qui l’enseignent.
A La Danse, les moyens matériels que sont les écoles municipales et les conservatoires, les écoles privées subventionnées, les professeurs qui débutent au salaire brut de 2.067€ *, les aides pour monter les spectacles et le carnet d’adresses nécessaire pour se produire dans des salles et des festivals offrant une large visibilité.
Aux danses mineures, l’organisation des cours par des associations relevant du droit privé, gérées par des bénévoles, dont la seule subvention consiste en la mise à disposition des rares salles municipales, ce à condition que ces associations fassent état d’un nombre d’inscrits suffisant ; souvent, les professeurs qui atteignent péniblement le SMIC, voire qui cumulent leur activité d’enseignement avec un emploi alimentaire ; les spectacles de fin d’année dans des salles polyvalentes avec les moyens du bord, en espérant que la recette des entrées permettra de donner de l’air à la trésorerie après que les charges, notamment les très voraces Sacem et Spré, aient été réglées.
Et pourtant … malgré ou à cause de ces conditions, les passionnés de danses mineures déploient une vitalité et une créativité qui font de ces danses des éléments majeurs de la vie culturelle française.
Sans que vous en ayez nécessairement conscience.
Dès qu’ils le peuvent, les professeurs de danses mineures ouvrent leur studio. L’organisation de cours ne suffisant pas à payer les charges lissées sur douze mois, dont le loyer ou les échéances d’emprunt, ils organisent de nombreuses soirées où la convivialité s’établit sur la danse et non sur la boisson ou la nourriture. Sont-ils si nombreux ces lieux en France ?
C’est encore les professeurs de danses mineures qui participent pro bono à toutes les animations de rues, le Téléthon, les manifestations de charité…
Le monde de l’événementiel égaie vos après-midi, vos soirées grâce aux acteurs des danses mineures. Combien de pratiquantes de la danse orientale se sont-elles inscrites dans un cours de danse orientale après avoir été totalement enchantées par une représentation dans un restaurant où elles s’attendaient seulement à savourer un tajine ?
Et que dire du plaisir des week-ends de stages au cours desquels le quotidien de la semaine semble n’être plus qu’un mauvais souvenir ?
N’est-ce pas de la danse ? N’est-ce pas de la culture ?
Malheureusement, les professionnels des danses mineures sont en danger.
L’arrêt de toute vie sociale dû au confinement les a durement touchés. Déjà, des studios ferment, faute de trésorerie. La perte de contrats due à l’annulation de soirées événementielles ou de stages n’est compensée par aucune aide.
C’est une réalité : des cours devront disparaître à la rentrée 2020. Et il vous sera difficile de trouver dans le monde de La Danse des cours de danse orientale, de pole dance, de salsa cubaine ou de menuet…
Alors, si vous aimez vivre dans une France où la vie culturelle est riche de choix et de possibilités, sans doute veillerez-vous à soutenir les cours, les stages et les spectacles près de chez vous. Vous les sauverez ainsi d’une disparition qui risque d’être sans retour.
* Source : Onisep.fr