Jusqu’au 31 mai 2024 , France2 propose en streaming le splendide film de Kaouther Ben Hania. Nul paiement ou abonnement nécessaire. Il suffit de s’inscrire pour accéder à une oeuvre qui se classe nettement aux côtés des références que sont « Les Accusés », « Thelma et Louise », et le plus récent « Promising young woman ».
Le film s’ouvre sur une adorable scène « rose bonbon ». Mariam a déchiré sa robe anthracite à mancherons et col Claudine. Sa colocataire et amie lui apporte dans les toilettes de quoi se changer. Mariam a quelques hésitations. Selon elle, la robe de satin bleu au jeu de bretelles dans le dos tient plus de la nuisette que de la tenue de jour. Mais sur elle le rendu est saisissant et, de toute façon, il n’y a que cela. Sans compter que son amie complète la tenue d’une pochette transparente qui se porte à l’épaule par un joli cordon, légère et girly, parfaite pour contenir un porte monnaie et un portable.
Les deux jeunes filles sont parées pour faire leur entrée dans la salle de l’hôtel qui accueille la soirée étudiante. Mariam est la trésorière de l’association et l’absence de resquilleurs lui tient à coeur. Ainsi que la sécurité de ses consœurs. Elle a prévu un bus pour les ramener au foyer de jeunes filles, où elle loge également, avant la fermeture des grilles, à 22 heures.
Dès les premières images, Mariam est présentée en détails pour qui sait les saisir. Elle est brillante, provinciale, issue d’une famille aimante et traditionnelle. Elle-même aspire à la liberté sans provocations. Elle danse un foulard sur les hanches. Et le bel inconnu, qui discute avec le chargé de la sécurité, lui plaît particulièrement. Aussi, après qu’il lui soit présenté, elle sort avec lui pour faire quelque pas sur la plage.
L’esthétique du film est irréprochable. La marche des deux jeunes gens le long du couloir pour atteindre la porte qui ouvre sur la plage rappelle le tunnel du film de Gaspard Noé « Irréversible ». Etant entendu que l’éclairage est plus soigné chez Ben Hania. Mais c’est bien la fatalité qui s’incarne dans ces images. Car une fois franchi le seuil, tout va basculer dans l’horreur.
Prendre le temps de poser le sujet à partir de la contrainte de ce qui advient, indépendamment de la volonté des protagonistes, permet de développer le récit sous l’angle de la quête de la Justice.
Car si l’Homme bénéficie de la capacité de créer ses conditions matérielles et spirituelles d’existence, son premier devoir envers Lui-même est bien d’adoucir le destin par la Justice.
Sinon, règnent l’effroi et la superstition. Et il faut avouer que, face aux atteintes morales et physiques que subissent Mariam et Youssef, l’esprit, dans un réflexe de protection, est tenté de se réfugier dans la pensée magique incarnée par ces questions : « Et si elle n’avait pas déchiré sa robe à col Claudine ? » «Et si elle n’avait pas été tant séduite par Youssef, un de ces resquilleurs qu’elle souhaitait éviter ? » Comme si les victimes pouvaient se protéger des bourreaux quand ils ont décidé de sévir.
Les huit plans-séquences suivants racontent la nuit de Mariam et Youssef. Comment ils vont traverser à deux l’indicible solitude des dominés agressés par les forces de l’ordre établi, qu’il s’agisse du corps médical ou de celui de la police.
La tension de leur légitime quête de Justice est admirablement rendue par la technique du plan-séquence, lequel consiste à suivre les personnages en une seule prise dans différents endroits d’un même lieu ou de lieux différents. En ce sens, « La Belle est la meute » est avant tout un thriller qui conduit le spectateur à bout de souffle.
Cela d’autant plus que les acteurs sont remarquables. La finesse et la densité de leur jeu maintenu sur ces longues séquences donnent au film la dimension d’une tragédie méditerranéenne, de celles qui ont forgé l’étique humaine. La scène finale, dans laquelle la grosse légume de la police tente de briser Mariam, évoque l’affrontement entre Ventura et Serrault dans « Garde à vue. »
Ce classicisme est aussi servi par l’absence de toute idée convenue. L’employée de police à talons vertigineux applique la procédure avec rudesse envers celle qu’elle vient à qualifier de « traînée ». Tandis que l’aide-soignante orthodoxe se révèle attentionnée. Et l’acte juste ne vient pas du plus jeune des policiers.
Pour conclure, il faut souligner la puissance de l’interprétation de Mariam Al Ferjani qui est bouleversante. Solaire, spirituelle et fondante, elle immortalise avec grâce le combat de Meriem Ben Mohamed qui a inspiré le film.