Un soir, avant le cours, Yasmina me demande si cela m’intéresse de participer à la sélection départementale des Rencontres Chorégraphiques organisées par la Fédération Française de Danse. Je reste paralysée d’émotions contraires.
D’abord la gratitude qu’elle veuille chorégraphier un solo pour moi, ensuite l’envie d’accepter, puis la crainte de faillir, parce qu’après tout, je n’ai qu’un an et demi de danse orientale derrière moi.
Je me pose aussi la question de savoir comment cette initiative peut être accueillie par le jury ? Danse de célébration et d’improvisation, la danse orientale est-elle adaptée pour répondre au cahier des charges du concours qui prescrit que la chorégraphie doit avoir un thème ? Le jury est-il sensible à toutes les techniques ? Mais s’adapter aux exigences de la scène occidentale est un défi qui me tente, et je pars du principe que si l’interprétation est forte, le jury de professionnels doit reconnaître un travail chorégraphique, quelle que soit la technique utilisée.
J’accepte.
De retour chez moi, je commence à chercher une musique. Je sélectionne pieusement quelques morceaux que je propose à Yasmina la semaine suivante. J’en préfère un. Un titre de George Abdo de moins de 4 minutes, sur lequel j’improvise spontanément. Il s’avère qu’il inspire aussi Yasmina.
Elle construit la chorégraphie, coupe dans le vif de la multitude d’éléments que j’apporte, donne des directions fortes aux déplacements sans craindre de répéter, plus rapidement, certaines phrases. Un sortilège se dessine dans l’espace.
Je ne sais pas comment est né ‘Goule, la nuit est ton royaume.’ A quel moment nous comprenons qu’il s’agit d’un prédateur qui séduit sa proie, fond sur elle et l’emporte dans la nuit ?
Une goule est une créature très ancienne qui ne connaît pas le nylon et le lycra 😉 Pour le costume, je me laisse porter par des photos de créations de Christian Lacroix qui me conduisent à acheter des coupons rouge, violet et rose. Rita, à l’Atelier de la Colombe fait le reste.
La compétition se déroule dans une belle salle de ma ville. L’organisation est au top. Je partage une loge avec d’autres solistes. L’ambiance est studieuse. Chacun respecte scrupuleusement l’ordre de passage pour les répétitions. Je suis pieds nus au bord du tapis de scène, prête à me lancer dans ce qui me semble être un trou noir. Cela me fait rentrer le cœur plus profondément dans la poitrine quand j’entends, pour la première fois, l’introduction de ma musique résonner dans la profondeur de la salle.
Et je danse. J’entre tout de suite dans l’énergie du personnage. Le sortilège se dessine à nouveau….de lui-même. Je suis sélectionnée pour les régionales.
Elles se déroulent dans une autre ville. La salle est belle mais je trouve les loges froides. Elles sont belles, presque neuves, mais froides. En plus du trac – normal – je ne m’y sens pas bien. La répétition se passe ‘techniquement’ bien, mais je ne sens rien. Je me tais. Je ne parviens pas à convoquer les sensations avant de monter sur scène. J’ai l’impression que le trac fait barrage.
Et sur scène, c’est la cata 🙁 Dès le départ, je pars du mauvais pied, concrètement le gauche, au lieu du droit. Jusqu’au travail au sol, je développe la chorégraphie à gauche, ce qui me déstabilise complètement. Le travail central au sol arrive comme une délivrance, mais c’est trop tard : même en repartant du bon pied, je ne suis qu’un circuit informatique qui ouvre des espaces sur commandes, sans leur donner de sens. Exit.
C’est une chance de m’être plantée sur scène dès le début de mon voyage dans le monde de la danse orientale. Parce que je continue maintenant sans crainte. Je sais que le sentiment de gâchis et la déception s’effacent rapidement. Ce n’est pas agréable. Mais ce n’est pas mortel.