L’histoire commence dans le désert. L’immensité arrondie de dunes vibre sous la lumière solide et froide de la pleine lune. Au contraire de celle du soleil, qui, à son zénith, est synonyme de mort, celle-là conduit les Hommes vers « ce qui est fixé ».
C’est une communauté en mouvement vers un point d’arrivée, qui est comme une cible. Elle est conduite par celui qui connaît la voie et sait atteindre le but. Car perdre la route équivaut à une mort certaine.
Le guide possède l’information juste et authentifiée. Elle lui est transmise au cours des rencontres avec d’autres caravanes. L’échange de nouvelles concerne des faits avérés, ou réputés tels. La parole communique ce qui est advenu, et ce qui peut être considéré comme véridique. En dépendent la survie matérielle, ainsi que l’enrichissement de la mémoire.
Dans un monde où l’usage commande de ne jamais partager son eau, un vigoureux pragmatisme, établi sur de fines capacités d’observation, conditionne la pérennité de la communauté. Ainsi, « les tours du ciel », c’est à dire les constellations, sont les balises qu’apprennent et suivent les Hommes sur la piste.
La sacralité de la parole est un des éléments constitutifs de cette exigence de fiabilité, même si les nombreuses atteintes qui lui sont portées relativisent son efficacité.
Les dures réalités du quotidien incitent à se sortir de toutes les situations par le compromis, ce qui est peu favorable au dogmatisme.
Les forces qui dominent la vie des êtres, et sur lesquelles il est impossible d’influer, sont considérées comme vivant dans un espace séparé de celui occupé par les Hommes.
Présentes dans l’absence, seuls certains peuvent recevoir leurs messages, lesquels sont intangibles. En conséquence, le texte reçu doit être répété sans aucune altération.
Les intermédiaires de la présence dans l’absence sont des créatures surnaturelles, telles le shaytân qui inspire le poète, ou le tâbi’ qui s’attache au pas du devin.
Ainsi, la racine KTB désigne à l’origine le texte qui est fixé et porté intact à la connaissance de la communauté, où l’oralité prévaut.
« Ce qui est fixé » pour chaque âme désigne alors le « destin ».
Il semble donc qu’il s’agisse moins de fatalisme que de réalisme.
En effet, dans un univers où l’existence peut s’évanouir à tout moment, la lucidité commande de ne pas s’échapper trop du réel par quelque récit eschatologique flatteur pour l’égo.
Maktûb, « ce qui est fixé » pour chaque être, autant dire une grande partie de son existence, laquelle doit s’ancrer dans ce qui est réalisable et favorable à la communauté.