Le Destin, de Youssef Chahine

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Youssef Chahine est reconnu mondialement comme l’un des plus grands cinéastes. Né en 1926 dans la très cosmopolite Alexandrie, il fait ses études secondaires en anglais et part en 1947 à Los Angeles pour étudier le cinéma. Trois ans plus tard, il revient en Egypte et tourne le premier de ses 40 films et documentaires.

Cultivé, ouvert d’esprit, il combat toute sa vie le fanatisme, la censure, et la corruption du pouvoir, ce qui lui vaut un séjour en prison en 1984. Il aspire à une société cosmopolite, fondée sur la connaissance et le partage. « Le Destin » est un conte inspiré par la vie d’Averroès, où sont réunis les éléments de cet idéal et ceux issus de son expérience de la montée de l’intégrisme.

Averroès est un philosophe fondamental pour l’humanité. Il voit le jour à Cordoue en 1126 et meurt à Marrakech en 1198. Issu d’une famille de notables, il travaille pour la dynastie des Almohades qui règne au 12ème siècle en Andalousie. Qualifié d’hérétique par les oulémas, les docteurs de la loi musulmane, il est chassé de son poste, condamné à l’exil, et ses œuvres sont livrées aux flammes. En raison de cette condamnation, le théologien rationaliste islamique n’aura pas de postérité dans le monde musulman.  Nous lui devons les commentaires d’Aristote, et la conservation de la pensée hellénique qui sera à la source de la Renaissance en Occident.

Connaissance et partage

Le film de Youssef Chahine s’ouvre sur la fuite de Joseph qui rejoint l’Andalousie pour trouver refuge chez Averroès. Là, il partage le quotidien du théologien, amoureux de la vie et de ses bonheurs. Famille, étudiants, artistes, amis, hommes et femmes, mangent, travaillent, étudient et vivent dans une entente joyeuse, bruyante et favorable aux amitiés et aux amours.

Averroès dirige le conseil des juges et enseigne à la mosquée. Or, à ces deux fonctions, il contrarie beaucoup les oulémas, car il affirme que raison et révélation sont des alliées qui permettent à l’homme d’accéder à la connaissance. Selon lui, c’est la loi divine qui commande que raison et révélation marchent ensemble pour connaître le monde et la volonté de Dieu. Car si la révélation a été donnée aux seuls êtres doués de raison, c’est bien pour qu’ils se servent de la seconde pour interpréter la première. Il valorise la réflexion individuelle, et condamne celui qui prétend détenir la vérité.

« J’apprends deux vers par cœur, je suis poète.  J’apprends deux versets du Coran, je suis savant. De la médecine, qu’est-ce que tu sais ? Ou de l’astronomie ? Des mathématiques ? De la chimie ? De la philosophie ? Et de l’amour, qu’est-ce que tu as appris ? De la vérité ?  De la justice ? Que sais-tu de tout ça pour vouloir répandre la parole divine ? »*

Dès lors, ses proches sont agressés ou fanatisés, sa bibliothèque est incendiée, ses livres sont jetés aux flammes,  et il doit renoncer à ses fonctions, puis s’exiler. Alors, ses étudiants et ses amis décident de copier ses livres, puis de les porter à l’abri, dans les bibliothèques des rives de la Méditerranée.

La pensée a des ailes – Nul ne peut arrêter son envol*

J’ai retrouvé dans « Le Destin » le style populaire du cinéma égyptien qui repose sur le mélodrame et les scènes chantées et dansées. Youssef Chahine l’enrichit d’un tempo moins lent et de sa maîtrise du cinéma américain.

J’ai aimé la culture de Youssef Chahine qui lui permet de s’extraire du contexte historique, et de représenter l’humanité, ses haines,  ses paresses,  ses cruautés et ses grandeurs. Les méthodes employées par les intégristes, la mollesse et l’indifférence du pouvoir (quand ce n’est pas sa lâcheté) la crédulité des foules, l’amour et l’amitié qui lient les proches d’Averroès embrassent la totalité des choses que nous vivons actuellement.

Mais, pour moi, le plus émouvant est le rassemblement des forces pour sauver l’œuvre. Ces voyages, à travers mer et terre, à cheval ou à pieds, au mépris des dangers, dans le seul but de mettre à l’abri de l’arrogance et de la soif de pouvoir la connaissance et la pensée humaines. « L’œuvre est plus importante que l’homme. »*

* Youssef Chahine, « Le Destin »