L’été est la saison où fleurissent dans les magazines des articles aux sujets frivoles sur la séduction et les relations entre les dames et les messieurs.
J’apporte ma pierre à cet édifice léger et grivois, en y ajoutant un peu de littérature.
Dans « Les Milles nuits et une nuit », un conte rapporte un débat animé entre deux dames. Le sujet est d’importance. Il s’agit de déterminer quel est le meilleur amant : le jeune homme ou l’homme mûr ?
En des termes fleuris et fort explicites, chacune argumente avec conviction et humour.
Il est intéressant de relever qu’une telle discussion est absente du contexte des « Mille nuits et une nuit » quand il s’agit des femmes. En effet, la femme de plus de 40 ans y est principalement considérée comme une calamité au service de desseins funestes.
Celle qui soutient la cause des jeunes hommes avance les raisons suivantes : « Ô ma sœur, comment peux-tu faire pour supporter la rudesse de la barbe de ton amant, lors du baiser, quand sa barbe vient frotter tes seins et que ses moustaches viennent heurter de leurs épines tes joues et tes lèvres ? […] Crois-moi, ma sœur, change d’amoureux et fais comme moi : trouve quelque adolescent aux joues légèrement duvetées et désirables comme un fruit, à la chair délicate qui fonde dans ta bouche sous le baiser. Par Allah ! il saura bien compenser auprès de toi son manque de barbe par tant d’autres choses pleines de saveur ! »*
Quant à la supériorité de l’homme mûr, elle serait fondée sur sa maîtrise des jeux de l’amour. Ainsi : « Que me dis-tu donc de choisir pour amoureux un adolescent imberbe ? Crois-tu que je consentirais à m’étendre sous quelqu’un qui, à peine monté, songe à descendre, à peine tendu, songe à se détendre, à peine noué, songe à dénouer le nœud, à peine en place, songe à se défaire, à peine solidifié, songe à fondre, à peine érigé, songe à s’effondrer, à peine enlacé, songe à se délier, à peine collé, songe à se dissoudre, et à peine tiré, songe à se relâcher ? […] Jamais je ne quitterai l’homme qui à peine a reniflé qu’il enlace, qui lorsqu’il entre reste en place, lorsqu’il se vide se remplit, lorsqu’il finit recommence, lorsqu’il remue est excellent, lorsqu’il s’agite est supérieur, lorsqu’il donne est généreux, et lorsqu’il fonce perfore ! »*
Le conte se conclut par la victoire de la tenante des hommes mûrs.
Au-delà de la licence amusante des propos, il est notable que, dans la civilisation où ont été mis en forme « Les Mille nuits et une nuit », le monde matériel et ses plaisirs sont tenus en bonne part. Cela explique l’essor de la médecine et des sciences. A la même époque, c’est à dire entre le Xe et le XVIe siècles, le monde occidental les condamnent. Il faudra les luttes de la Renaissance pour redécouvrir, souvent par l’intermédiaire des traducteurs arabes, les savoirs grecs et latins, enrichis des connaissances du monde oriental, fondements des civilisations occidentales.
Quant à l’Amour, dont il est nulle question ici, c’est pour le méditerranéen et l’oriental une épiphanie, un état à redouter, qui peut conduire aux délices comme à la mort. Il ne saurait être confondu avec les plaisirs sensuels et le mariage. Il possède un langage singulier dont source celui de l’Amour courtois des occidentaux.
* « Les Mille nuits et une nuit, Le parterre fleuri de l’esprit » traduction de Joseph Charles Mardrus