René Goscinny est un homme du siècle passé. Il combinait avec délectation les avers et les revers des mots, et créait avec aisance des univers où une solide érudition se pare de décalages géniaux. En conséquence, ses scenarii tutoient souvent un surréalisme franchement joyeux, qui met en lumière les ressorts de la nature humaine.
Son talent de scénariste serait de peu d’effet sans ses associations avec des dessinateurs d’exception, tel Albert Uderzo avec lequel il créé les aventures d’Astérix et Obélix.
Toujours en s’amusant de l’histoire et de la littérature, c’est avec Jean Tabary qu’il donne naissance aux « Aventures du calife Haroun el-Poussah ». La série passe à la postérité sous le nom du deuxième protagoniste de ces aventures, savoir le grand vizir Iznogoud.
Le cadre de l’oeuvre est celui des Mille et une nuits. La clarté des couleurs, la rondeur des lignes, la fantaisie dans les moindres détails, l’indolence de la plupart des personnages, hors les séquences de marchandage, et à l’exception d’Iznogoud, tendu en permanence par son obsession, les créatures fabuleuses et les phénomènes magiques évoquent le Bagdad des califes abbassides.
La paire Haroun el-Poussah/ Iznogoud semble emprunter au duo historique Haroun al-Rachid/ Jaafar le Barmécide. A la différence que le second Haroun était plutôt du genre guerrier et suspicieux, au point de faire supplicier son grand vizir, auquel il prêtait l’ambition de vouloir être … « calife à la place du calife. » A ce jour, la déloyauté de Jaafar reste à établir.
Ce qui n’est pas le cas d’Iznogoud.
La bonhomie d’Haroun el-Poussah le porte à se consacrer principalement à la gourmandise, aux soins du corps, aux distractions plaisantes et au sommeil. L’idée que son grand vizir fomente un « calificide » est à mille parasanges* de son esprit.
Tandis que tout le palais connaît parfaitement les intentions d’Iznogoud, auquel son fidèle serviteur donne, entre autres, les titres de « vil grand vizir » et « d’infâme maître ».
De là des situations improbables qui conduisent à des chutes inextricables, dont Iznogoud sort toujours plus résolu, et plus malveillant, que jamais. Le tout servi par un scenario endiablé et un trait alerte. L’oeuvre fait passer dans le langage courant l’expression « vouloir être calife à la place du calife » ce qui donne la mesure de son succès.
Chaque épisode compte quelques pages. A l’origine, les aventures étaient publiées dans le journal Record. Puis, elle parurent dans le journal Pilote, créé par Goscinny. Si les physionomies sont abouties dès les premières planches, il est amusant d’y observer les essais de Tabary quant à la silhouette des différents personnages. Le premier album date de 1966. Treize autres suivront, ainsi que des planches parues dans le Journal du Dimanche sous le titre « L’ignoble Iznogoud commente l’actualité », ce jusqu’à la disparition de Goscinny en 1977.
En 2021, les éditions Dargaud ont mis en vente deux volumes qui rassemblent les planches créées entre 1962 et 1972.
Par ces temps d’esprits courts, voilà une acquisition qui s’impose à qui veut se donner du large et de la légèreté.
* Ancienne unité de distance perse