Les couleurs sont des constructions culturelles. Ce sont des abstractions détachées de leurs manifestations matérielles. Elles sont les éléments de systèmes symboliques qui diffèrent selon les civilisations et qui évoluent selon les époques.
Au passé du temps, le rouge serait une teinte parmi les premières teintes utilisées et maîtrisées par les Hommes. Elle partage cette ancienneté dans l’Histoire humaine avec le noir et le blanc.
Dans la Rome antique, le rouge est une couleur chérie. Elle se rencontre dans le textile, dans les objets du quotidien, aussi bien que dans l’architecture.
L’oeil romain distingue de nombreuses nuances de rouge. Parmi elles, un « sous-rouge » qui peut être à la fois lumineux et pâle, qui est le rose sans nom.
Car l’adjectif latin roseus est une référence à la fleur en son état naturel, lequel est rouge, plus rarement blanc ou jaune. L’adjectif désigne donc une teinte éclatante d’un rouge de grande qualité.
Le monde médiéval européen n’a guère de goût pour le rose. Il lui préfère des teintes plus tranchées.
A l’Orient, les penchants sont différents. La délicatesse de la teinte y est aimée avec constance. Au XVIIe siècle, Jean Thévenot témoigne que le sultan de l’Empire ottoman porte un dolman* chair.
Il est vrai que l’Orient domine la création de toute la gamme des roses, grâce à l’usage du bois de braise. Dans le cadre des relations commerciales, les marchands de Venise découvrent les vertus tinctoriales de ces espèces d’arbre, qui viennent du sud de l’Inde. A force d’essais et de pratique, les teinturiers vénitiens parviennent à égaler les orientaux et à fabriquer les premiers roses européens.
Dès lors, le rose habille l’aristocratie. Il est porté, certes, mais il n’est pas encore nommé.
Au XVe siècle, le terme toscan et vénitien incarnato, qui désigne le teint du visage, est adopté pour signifier la couleur rose. En français, ce sera incarnat.
Avant la colonisation du Brésil, le rose demeure le privilège luxueux d’un très petit nombre. En effet, la production de cette couleur est fort onéreuse.
Le Brésil tient son nom du bois de braise dont son territoire regorge. Les colons vont acheminer quantité de cette matière première à des coûts d’autant moindres que la main d’oeuvre est constituée d’esclaves.
Ainsi, le XVIIIe siècle devient le siècle du rose. Lancé par Madame de Pompadour, qui en raffole, il est porté indifféremment par les hommes et par les femmes. Il est également très présent dans l’ameublement.
Au même moment, une réussite couronne les travaux des botanistes et des jardiniers. Une rose parfaitement rose devient habituelle. Alors, peu à peu, le rose de la rose glisse vers la couleur rose. Qui doit attendre 1835 pour figurer en tant que telle dans le dictionnaire de l’Académie française.
Au mitan du XXe siècle, les nord américains habillent de rose un certain jouet destiné à coloniser la psyché des filles et des garçons. Dès lors, le raffinement du rose laisse place à une couleur vulgaire.
Heureusement que nature et créateurs nous rappellent régulièrement à la finesse du rose, celui qui séduit les Hommes depuis qu’ils aiment le rouge.
* Veste plus ou moins longue, portée sur la chemise.