L’eau en Méditerranée, l’art du bain et les délices du hammam

M.R, La Voleuse d’eau

Le liquide amniotique est de l’eau. Où se mélangent des cellules foetales et de l’urine. L’eau chaude est notre berceau. Le jardin de sécurité où notre première cellule s’est divisée et diversifiée.

Avant la civilisation industrielle, les Hommes considéraient l’eau comme un bien précieux, voire sacré. La toponymie, étude des noms de lieux, atteste que l’eau donne son nom à l’endroit où elle source, passe ou se repose : Aix en Provence, Aigues mortes, Aix les bains…

De nos jours, l’Homme est le seul animal à uriner dans l’eau qu’il boit. Il l’utilise pour cultiver des plantes comestibles qu’il ne mange pas, produire et nettoyer des objets auxquels il s’identifie, faire pousser du gazon anglais en Provence, irriguer des golfs et des terrains de sport et manger des fraises en Janvier. Cela s’appelle le progrès…

Au passé du moment, l’usage méditerranéen voulait que le puits soit un lieu de rassemblement et d’échange.

Jean-Auguste-Dominique Ingres, La Grande odalisque (détail)

Comme l’écrit Washington Irving qui séjourne dans l’Alhambra au XIXe siècle :

« A l’ombre du puits en question se tient tout le jour une sorte de conférence perpétuelle à quoi participent des invalides, des vieilles femmes et divers fainéants de la forteresse. On vient s’asseoir sur les bancs de pierre, sous un vélum étendu au-dessus du puits pour protéger du soleil le chargé de péage, et l’on musarde, on se dit les derniers potins de la forteresse, on interroge tous les porteurs d’eau qui arrivent sur ce qui se passe en ville, on commente longuement tout ce que l’on entend et voit. Il n’est pas un moment du jour où l’on ne puisse voir des ménagères et des servantes s’y attarder, gargoulette en main ou sur la tête, pour entendre le dernier commérage des ces aimables caqueteurs. » *

Le puits dont il s’agit est celui de la forteresse de l’Alhambra. Il est excentré et son accès demande l’ascension de la colline. Mais son eau est :

« …froide comme la glace et pure comme le cristal. Les puits creusés par les Maures sont toujours renommés, car on sait tout le mal que se donnaient ceux-ci pour atteindre aux sources et aux fontaines les plus pures. » *

Les sumériens, avant d’inventer l’écriture, étaient des maîtres de l’irrigation. Il se pourrait qu’une savante gestion de l’eau soit un des éléments d’une civilisation avancée et raffinée. De là je conclus que nous sommes très mal barrés…

Lady Mary Wortley Montagu est la première occidentale attestée à avoir pénétré dans les harems ottomans et dans les bains réservés aux femmes.

Nous sommes au XVIIIe siècle. Son témoignage fait rêver :

« La première pièce, très vaste, était dallée de marbre et tout autour couraient deux larges marches de marbre comme deux banquettes successives. Il y avait là aussi quatre fontaines dont l’eau froide se déversait dans des bassins de marbre avant de parcourir le sol dans d’étroites rigoles qui transportaient le flot dans la pièce suivante, de dimensions un peu plus modestes, entourée des mêmes banquettes de marbre, mais si fortement chauffée par les vapeurs sulfureuses provenant des bains contigus qu’il était impossible d’y rester habillée. Les deux derniers dômes abritaient les bains chauds et l’un d’eux était équipé de robinets d’eau froide pour ramener la température au degré souhaité par les baigneuses. […]

Sur la première banquette, jonchée de coussins et de riches tapis, s’étaient installées les dames et, sur la seconde, derrière elles, se tenaient leurs esclaves, mais sans distinction de rang dans leur vêture, toutes étant en état de nature, c’est-à-dire en langage clair, parfaitement nues, sans qu’aucun agrément ou défaut ne fût celé. Et pourtant il n’y avait ni regard impudique ni geste lascif entre elles. Elles évoluaient avec cette grâce majestueuse dont Milton gratifie notre Mère à tous. Beaucoup étaient aussi bien proportionnées que les déesses nées du pinceau du Guide ou du Titien et la peau de la plupart étincelait de blancheur avec pour seule parure leurs magnifiques cheveux inondant leurs épaules de multiples tresses, entrelacées de perles ou de rubans pour atteindre à la perfection des Grâces. » **

John William Godward, Un Reflet fidèle

Dans l’Histoire de Douce-Amie, les soins reçus au hammam sont décrits.

Les contes qui constituent les « Mille nuits et une nuit » sont datés selon les mœurs et les coutumes qu’ils dépeignent. Dans les Nuits, le vin est présent, mais pas le café, ni le tabac. Dès lors, il est avancé que le corpus principal des Nuits est formé de contes datant d’avant 1400. Les contes les plus tardifs auraient été mis en forme au XVIe siècle.

Il est séduisant de constater que les rituels de bain et de hammam peints dans les Nuits existent toujours, comme des sortilèges impérissables.

« Après lui avoir lavé tous les membres et la chevelure, elles la massèrent et la frottèrent, puis elles l’épilèrent soigneusement avec la pâte de sucre en caramel, lui versèrent dans les cheveux le doux liquide aromatisé au musc, lui teignirent au henné les ongles des doigts et des orteils, lui allongèrent au kohl les cils et les sourcils, brûlèrent à ses pieds des cassolettes d’encens mâle et d’ambre gris, et lui parfumèrent ainsi légèrement toute la peau. Puis elles lui jetèrent sur le corps une grande serviette qui sentait les fleurs d’oranger et les roses, lui serrèrent toute la chevelure dans une étoffe ample et chaude […] » ***

Filippo Baratti, Repas des cygnes au harem

Au XIXe siècle, Sir Richard Francis Burton, officier de la Compagnie des Indes, passionné de langues orientales, premier européen attesté à être revenu de la ville sainte de Harar, associé à John Hanning Speke dans la recherche des sources du Nil, et traducteur des « Mille nuits et une nuit », rapporte que les orientaux fréquentent les hammams avec assiduité.

Hommes et femmes y restent des heures. Les hommes y concluent des affaires. Les femmes s’y livrent aux confidences. Il n’est pas rare que les uns ou les autres louent le hammam du quartier pour organiser une réunion privée. Dans ce cas, aux délices des soins du corps s’ajoutent ceux de la table sous la forme d’un pique-nique.

Il est vrai qu’à l’époque omeyyade (661 -750) les hammams les plus somptueux servaient de salles d’audience et de festivités.

Du point de vue architectural, le hammam est l’héritier du bain romain. D’abord, des vestiaires et des salons, puis des salles froides, des salles tièdes et, enfin, des salles chaudes. Les plus célèbres, à l’état de vestiges ou en activité, présentent des voûtes en coupoles et des décors luxueux.

Mais quelle que soit la splendeur des hammams, là où se trouve l’Homme, il y a des cracras portés par leurs bestioles. Ainsi, le pêcheur dans l’Histoire de Douce-Amie :

« […] sa robe de dessus aux manches amples, et toute rapiécée de pièces multicolores et de morceaux de laine de mauvaise qualité, et toute pleine de punaises de la variété à queue et de puces assez nombreuses pour couvrir la surface de la terre, son turban, qu’il n’avait pas déroulé depuis trois ans, et dont l’étoffe était faite de plusieurs morceaux de chiffons ramassés au hasard, et qui contenait des poux grands et des poux petits, de blancs et de noirs et d’autres aussi. » ***

Rien que de l’écrire, je me gratte avec fureur 😉

* Washington Irving, Contes de l’Alhambra

** Lady Mary Wortley Montagu, L’Islam au coeur, lettres choisies

*** Mille nuits et une nuit, traduction de Joseph Charles Mardrus