L’été se prête à la lecture de polars et de romans de plage insipides. Si tu es tentée par une expérience plus intense, « Les Liaisons dangereuses » pourraient te plaire.
C’est une histoire de manipulation. Et d’une femme amoureuse qui en meurt. Sujet intemporel s’il en est.
« Les Liaisons dangereuses », roman épistolaire publié en 1779 par Choderlos de Laclos est, selon moi, un chef d’oeuvre inégalé.
Notre époque inculte aime voir dans Cécile de Volanges une victime et dans la Marquise de Merteuil une précurseur de l’égalité entre les sexes.
La vérité est que Cécile est vulnérable parce qu’elle est naturellement dépourvue de tout frein à son désir de satisfactions immédiates. Quant à la Marquise, elle explique clairement dans la lettre 81, que ce qui lui importe est de ne pas perdre, à défaut de gagner. Cela fait d’elle un outil parfait de domination brutale. De nos jours, la première pourrait être influenceuse, la seconde membre du conseil d’administration d’une multinationale.
Le véritable joyau des « Liaisons dangereuses » est l’incandescente Madame de Tourvel.
Merteuil la définit comme bigote, banale, s’habillant mal et possédant un style épistolaire épouvantable.
Sous l’apparence austère et la stricte observation des usages, se dessine une femme qui décrit si bien les affres de l’amour, auxquels elle s’est juré d’échapper, qu’il est évident que son instinct de survie, plus qu’une morale de convenance, la pousse à user ses facultés contre ses émotions et ses sentiments : « Ce que vous appelez le bonheur, n’est qu’un tumulte des sens, un orage des passions dont le spectacle est effrayant, même à le regarder du rivage. Eh ! comment affronter ces tempêtes? comment oser s’embarquer sur une mer couverte des débris de mille et mille naufrages ? Et avec qui ? Non, Monsieur, je reste à terre ; je chéris les liens qui m’y attachent. Je pourrais les rompre que je ne le voudrais pas ; si je ne les avais, je me hâterais de les prendre. »
Cette forteresse est d’autant plus utile que Madame de Tourvel est une femme passionnée, trop loyale pour nier ses sentiments une fois qu’ils sont nés.
Elle se confie à Madame de Rosemonde, sans ambages: « Je croyais avoir éprouvé les peines de l’amour, mais le tourment inexprimable, celui qu’il faut avoir senti pour en avoir l’idée, c’est de se séparer de ce qu’on aime, de s’en séparer pour toujours ! »
De surcroît, comme Valmont le relève, chez Madame de Tourvel « l’émotion, loin de suivre la route ordinaire, [part] toujours du coeur, pour arriver aux sens. » Ame et volupté liées dans l’amour d’un seul homme.
Cette sincérité totale cause sa perte. C’est parce qu’elle décide de ne plus combattre ses sentiments « comment parviendrais-je à les vaincre, quand je n’ai plus le courage de les combattre ? » d’accepter et de se livrer à Valmont qu’elle ouvre la voie vers sa mort.
La rupture la plus cruelle de la littérature.
Ponctuée par la phrase célèbre : «Ce n’est pas ma faute », il s’agit d’une véritable mise à mort commandée par la Marquise de Merteuil. Mylène Farmer reprendra la phrase traduite en anglais « It’s beyond my control » pour titrer une de ses chansons.
Morte d’amour après une longue agonie – mais souffrir d’un homme, n’est-ce pas encore être avec lui ? – Madame de Tourvel incarne la passion dans sa plus délicate et fragile expression.
« Les Liaisons dangereuses » ont fait l’objet de nombreuses publications et de nombreuses adaptations pour le théâtre et au cinéma.
Rien ne remplace la lecture du roman édité chez Folio classique au prix de 4€80.
Au cinéma, deux oeuvres majeures : « Les Liaisons dangereuses » de Stephen Frears et « Valmont » de Milos Forman.