Prêtresses en Mésopotamie

Crédit photo : Patrice Bucher

En Mésopotamie, région entre les fleuves Tigre et Euphrate, principalement sur le territoire de l’actuel Irak, les femmes assument de hautes fonctions religieuses.

Les civilisations qui s’ajoutent et se succèdent sur ce territoire sont marquées par un haut degré de raffinement, qui se manifeste, notamment, par l’invention de l’écriture cunéiforme à Uruk en 3300 avant JC.

Les temples sont les demeures des dieux qui vivent sur terre. Les satisfaire est le destin de l’humanité. Les temples sont des centres économiques et administratifs. Des actes juridiques y sont rédigés et conservés, les surplus de la production agricole, améliorée par les nouvelles techniques d’irrigation, y sont conservés, comptabilisés, distribués, des animaux de rente y sont abattus, des étoffes y sont tissées, des prêts y sont accordés…

Toutes ces tâches emploient des hommes libres maîtrisant des savoir faire et des esclaves.

Aux membres des classes privilégiées les hautes fonctions religieuses qui permettent l’accès au saint des saints, le Naos, le lieu le plus reculé où vit le dieu. Lieu dont l’entrée est absolument interdite au commun des mortels.

Car au contraire des cultes monothéistes, les rituels ne sont pas publics. Ils se déroulent rien que pour les yeux des différentes catégories de prêtres qui officient dans l’intimité des dieux qu’ils réveillent, lavent, habillent, nourrissent et, parfois, réjouissent de leurs orgies.

Le Lion de Tell Harmal, 1750 avant JC.

Les sources manquent pour dessiner l’image complète de la situation des prêtresses au fil des civilisations de ce territoire.

Une chose semble attestée : le titre de grande prêtresse est prestigieux et les fonctions qui lui sont attachées sont puissantes.

Sargon, fils d’une grande prêtresse

Ainsi, le fondateur de l’empire d’Akkad (2324-2154) Sargon revendique d’être le fils d’une grande prêtresse : « Ma mère était une grande prêtresse. Mon père, je ne le connais pas. Ma mère, la grande-prêtresse, me conçut et me mit au monde en secret. Elle me déposa dans une corbeille en roseau, dont elle ferma l’ouverture avec du bitume. Elle me jeta dans le fleuve sans que j’en puisse sortir. […] la déesse Ishtar se prit d’amour pour moi et c’est ainsi que pendant cinquante-six ans, j’ai exercé la royauté. » (d’après une tablette datée du VIIe siècle avant JC)

Trois éléments sont intéressants. Nous sommes vraisemblablement en présence de la fable qui inspira celle de Moïse. A la différence que dans le monothéisme, le statut de la mère n’est plus que celui de…mère. De plus, l’identité du géniteur est sans importance, parce que ce n’est pas de lui que procède la souveraineté mais, et c’est le troisième élément, de la déesse Ishtar. Ce serait un non sens délirant de conclure que le pouvoir primordial est conçu comme transmis par les femmes. Déesse de la sexualité et du désir, entre autres attributions, Ishtar est une figure féminine qui incarne l’accomplissement de la volonté de puissance masculine par-delà les limites de l’ordre établi. Sargon n’est autre qu’un chef de guerre qui prend le pouvoir et fonde un empire. L’amour d’Ishtar  légitime son désir de domination.

Crédit photo : Patrice Bucher

En-heduanna, grande prêtresse et femme politique

Sous le règne de Sargon, les cultures sumérienne et akkadienne s’entrelacent. Afin de préserver l’unité des conditions de vie spirituelle dans l’empire, Sargon initie la pratique qui consiste à nommer une princesse grande prêtresse du temple du dieu lune à Ur, dans le sud mésopotamien. Cette pratique durera jusqu’au VIe siècle avant JC.

La première ainsi nommée est sa fille En-heduanna (princesse akkadienne qui porte un prénom sumérien, ce qui atteste du prestige de la culture sumérienne) L’histoire la retient comme la première femme poétesse, puisque nous seraient parvenus des hymnes et des poèmes de sa main. C’est omettre un peu vite que son rôle est avant tout politique. Installée par son père, elle œuvre à la consolidation des liens entre conquis et conquérant. A la mort de ce dernier, sa position est fragilisée par la remise en cause de la domination akkadienne.

Hiérogamie, le mariage sacré

Dans l’empire d’Ur (2110-2003) le mariage sacré est une cérémonie à la symbolique puissante. Sans doute originaire de la ville d’Uruk, il s’agit de fortifier l’union du roi et de la déesse Inanna, déesse de l’amour et de la souveraineté, dont il tient le pouvoir primordial. La cérémonie avait lieu au printemps, et il est fort possible qu’elle ait connu une forme charnelle à certaines périodes, la grande prêtresse du temple d’Inanna incarnant la déesse. Plus sûrement, il semble que ces deux-là devaient s’attacher à une bonne entente. Si l’un possède la force armée, l’autre est gardienne de la culture. Et un peuple se gouverne peu de temps sans un récit collectif qui l’agrège. Ce mariage sacré célèbre l’ordre du cosmos qui lie le masculin avec le féminin, la guerre avec l’amour, le pouvoir terrestre et la puissance céleste.

Le gagum, jardin des femmes libres

Au IIe millénaire avant JC, au temps des royaumes amorrites, il existe le gagum, enceinte où vivent des femmes consacrées à une divinité. Il ne s’agit pas de prêtresses, puisqu’elles ne sont pas chargées du culte, mais qu’elles se réservent pour la prière…enfin, il semble qu’elles pouvaient se livrer à d’autres occupations tout aussi prenantes à la condition expresse de ne pas avoir d’enfant, comprendre : à ne pas avoir d’héritier.

En effet, l’institution du gagum est avant tout une saine gestion des richesses du clan familial dans les classes privilégiées.

Il faut garder à l’esprit que notre conception contemporaine du mariage est un contresens au regard des raisons qui fondent cette institution, qui vise à transmettre et à accroître un patrimoine tout en garantissant la pureté génésique de la descendance.

Dès lors, le gagum permet de doter généreusement des femmes issues de familles aisées tout en les soustrayant au mariage, qui aboutit à morceler les fortunes familiales. Les femmes qui entrent au gagum sont libres de gérer leurs biens immobiliers et mobiliers, à l’exclusion de toute vente. Les actes retrouvés attestent qu’elles se révèlent de redoutables femmes d’argent.

A leur mort, ces biens fructifiés retournent dans le giron de leur famille. Il s’agit de conditions d’existence féminine particulièrement indépendantes et épanouissantes. Un statut prestigieux apparié à la liberté, matérielle et affective, donne à ses femmes une place très enviable. Il est troublant de relever le lien entre absence de maternité et liberté, lien toujours nié dans nos sociétés occidentales contemporaines.

Panneau de la salle de trône de Nabuchodonosor II, Ier millénaire avant JC

Notables et consacrés

Dans la Babylonie du Ier millénaire, deux institutions sont au coude à coude pour exercer le pouvoir spirituel. La Couronne, le pouvoir séculier du roi, et les grands temples urbains. Cette bipolarité des institutions se retrouve dans l’Egypte antique où elle aboutit à la division du pays entre les rois tanites au nord et les grands prêtres thébains au sud (aux environs de 1000 avant JC)

Retour en Babylonie, où les notables citadins luttent contre la main mise du pouvoir royal sur les temples par l’instauration d’une assemblée en charge de la gestion administrative et cultuelle des temples. Dès lors, des notables occupent des charges au service du culte. Toutefois, seul le personnel consacré et jugé comme suffisamment pur, accède aux espaces sacrés où réside le dieu ou la déesse. L’un des éléments constitutifs de cette pureté est la conformité physique, notamment par l’usage du rasage. En Egypte antique, il s’agit d’épilation car les dieux aiment les corps glabres.

Pour ne pas conclure …

Bien entendu, ces quelques points établis laissent de larges zones d’ombre. Dans la société patriarcale de la Babylonie du Ier millénaire, il semble que les charges sacrées étaient réservées aux hommes. Ce qui n’est pas le cas à Thèbes, en Egypte, où des femmes exercent de hautes fonctions, dont celle d’épouse d’Amon-Rê. Ce sera le sujet d’un prochain article… 😉