Le serpent et la danseuse orientale

"Funny snakes in leaves."
« Funny snakes in leaves. »

L’une des images attachées à la danseuse orientale est celle de courbes féminines qui forment des lignes sinueuses avec la souplesse du serpent.  Il existe d’ailleurs un mouvement appelé « les bras serpent. »

Le serpent est lié à la Terre. Sa capacité à changer de peau en fait le symbole du cycle qui va de la mort à la renaissance. Nichant dans des endroits humides et/ou souterrains, il apporte aux hommes la sagesse des mystères enfouis.  Sa capacité à se déplacer par la seule force des ondes de ses reptations en fait la représentation parfaite de l’énergie vitale à l’œuvre dans les entrailles de tout ce qui vit pour que jamais ne cesse le cycle des changements d’état. Le serpent est cette force qui demeure, dépassant la limite des formes différenciées des existences éphémères, qu’elles soient minérales, végétales ou animales.

De son côté, la danse orientale prend sa source dans des systèmes symboliques où elle rend manifeste l’énergie féminine. Cela ne s’arrête pas à la seule fertilité – qui est aussi un attribut de certaines divinités masculines.

En Mésopotamie,  Inanna/Ishtar est la déesse de la sexualité, des inversions et de la guerre. Elle préside aux changements d’état et unit les contraires. Une statue la représente avec un serpent lui entourant les hanches.

Dans les anciennes civilisations où est apparue la danse orientale, le Féminin possède de nombreux aspects. Il incarne notamment le cycle de la vie, la force mystérieuse qui domine les êtres par-delà l’ordre humain qui les commande et le lien qui rend cohérent ce qui semble s’opposer.

Dans « Le Tombeau Hindou » de Fritz Lang, sorti en 1959, la danseuse est soumise au jugement de la déesse qui s’exprime par l’intermédiaire d’un serpent.

Dans « Salammbô » de Gustave Flaubert, paru en 1862, Salammbô se dédie à la déesse Tanit pour sauver Carthage de la ruine. Pour sceller solennellement son engagement, elle « s’enlace au génie de sa famille, à la religion même de sa patrie en son symbole le plus antique »1 : le serpent.

Pour écrire cette scène, l’auteur s’inspire de sa rencontre avec Kuchouk-Hânem qui a dansé pour lui la danse de l’abeille.

« Salammbô défit ses pendants d’oreilles, son collier, ses bracelets, sa longue simarre blanche ; elle dénoua le bandeau de ses cheveux, et pendant quelques minutes elle les secoua sur ses épaules, doucement, pour se rafraîchir en les éparpillant. La musique au dehors continuait ; c’était trois notes, toujours les mêmes, précipitées, furieuses ; les cordes grinçaient, la flute ronflait ; Taanach marquait la cadence en frappant dans ses mains ; Salammbô, avec un balancement de tout son corps, psalmodiait des prières, et ses vêtements, les uns après les autres, tombaient autour d’elle.

La lourde tapisserie trembla, et par-dessus la corde qui la supportait, la tête du python apparut. Il descendit lentement, comme une goutte d’eau qui coule le long d’un mur, rampa entre les étoffes épandues, puis, la queue collée contre le sol, il se leva tout droit ; et ses yeux, plus brillants que des escarboucles, se dardaient sur Salammbô.

L’horreur du froid ou une pudeur, peut-être, la fit d’abord hésiter. Mais elle se rappela les ordres de Schahabarim, elle s’avança ; le python se rabattit et lui posant sur la nuque le milieu de son corps, il laissait pendre sa tête et sa queue, comme un collier rompu dont les deux bouts traînent jusqu’à terre. Salammbô l’entoura autour de ses flancs, sous ses bras, entre ses genoux ; puis le prenant à la mâchoire, elle approcha cette petite gueule triangulaire jusqu’au bord de ses dents, et, en fermant à demi les yeux, elle se renversait sous les rayons de la lune. La blanche lumière semblait l’envelopper d’un brouillard d’argent, la forme de ses pas humides brillait sur les dalles, des étoiles palpitaient dans la profondeur de l’eau ; il serrait contre elle ses noirs anneaux tigrés de plaques d’or. Salammbô haletait sous ce poids trop lourd, ses reins pliaient, elle se sentait mourir ; et du bout de sa queue il lui battait la cuisse tout doucement ; puis la musique se taisant, il retomba. »2

« Snake on Bamboo »

1 Gustave Flaubert, Lettre à Sainte-Beuve, décembre 1862

2 Gustave Flaubert, Salammbô