La gestuelle féminine appelée danse orientale est mal jugée depuis très longtemps.
D’abord, il y a eu l’apparition des monothéismes et la concentration de tous les pouvoirs entre les mains d’un seul principe fondateur masculin. Puis sont venus le refus des interprétations systémiques du monde, et la valorisation des seules approches réductionnistes et rationalistes.
Dans de tels contextes culturels, la danse orientale, expression d’une vision féminine du corps et des relations au monde, est rabaissée. Car elle célèbre les cycles de la vie où se succèdent l’énergie génésique féminine et les autres puissances de l’univers. C’est une danse imprégnée par la nature, qui ne raconte aucune histoire, mais donne à voir des émotions qui témoignent de notre appartenance à un tout.
Actuellement, elle est souvent mal représentée, et le milieu « culturel » a beaucoup de mal à la comprendre. Dès lors, beaucoup de gens trouvent confortable de la considérer comme un divertissement charmant, voire la marque d’une « culture ».
J’ai donc décidé de m’attaquer aux préjugés dont est victime la danse orientale, et de proposer un regard neuf sur elle.
Mon premier billet est consacré à l’idée que la danse orientale ne serait qu’un prétexte pour faire étalage de ses charmes, une « vitrine » pour de la « chair à vendre. »
Une danse érotique féminine
La danse orientale est une danse érotique féminine. Ce qui lui fait du tort, c’est que, de nos jours, l’érotisme est confondu avec la séduction, voire avec des attitudes explicites qui ne laissent aucune place à l’imagination.
Simone de Beauvoir écrit que « L’érotisme implique une revendication de l’instant contre le temps, de l’individu contre la collectivité. » C’est une tension. Il ne s’agit pas de satisfaire un désir sensuel, mais de lui donner corps, ce qui conduit à le distancier, à le complexifier, à en reconnaître toutes les nuances. La danseuse abandonne le premier degré de l’objet sexuel, pour atteindre celui de la femme qui explore sa sensualité.
Toutes les danses sont issues du désir
Certains auteurs pensent que la danse est apparue en tant que préliminaire à l’acte sexuel. A ce stade de mes recherches, j’ai tendance à considérer que, plus largement, le désir est la source des danses. Danses guerrières et d’initiation pour le désir de victoire et de domination de la nature, danses érotiques et de fertilité pour le désir d’amour et de prospérité, danses de transe pour le désir de guérison et de connaissance, danses collectives pour le désir d’appartenance et de sécurité.
La danse orientale est celle qui est restée le plus proche de la force qui l’a fait naître. Un peu par miracle, car, avec l’avènement des monothéismes, les pouvoirs qui se succèdent considèrent comme des désordres ces expressions primordiales. Dès lors les danses sont réduites à l’état de divertissements.
Le code artistique européen : l’hôpital qui se moque de la charité
La danse classique n’est pas exempte de composantes érotiques. Cela malgré les efforts faits pour qu’elle soit diamétralement opposée à la nature, et notamment à la nature du corps des femmes.
D’abord, si les jambes sont le point central des gestuelles européennes, c’est parce qu’elles sont considérées comme incarnant la sensualité féminine. D’où le tutu.
Ensuite, le ballet foisonne de scènes où « une ballerine est portée en l’air, comme un morceau de viande de premier choix, jambes ouvertes en ciseaux, tandis que son partenaire la balade d’un pas ferme autour de la scène, exposant son entre jambes au regard insistant du public.»* Vu sous cet angle, la danse orientale présente un érotisme nettement plus délicat. 🙂
Enfin, il faut attendre le début du 20ème siècle pour que la danse soit considérée comme un art ayant de la profondeur et du sens, ce notamment, sous l’influence des danses dites « exotiques » dont fait partie la danse orientale. Jusque-là, le ballet est un intermède durant lequel les messieurs se rincent l’œil, les plus fortunés d’entre eux en profitant pour choisir leurs nouvelles protégées. Les tableaux de Degas et les chroniques mondaines de l’époque attestent de cette réalité.
La danse orientale n’est donc pas la seule à mettre en scène « la chair » féminine, tout comme elle n’est pas la seule à prendre sa source aux racines de la nature humaine.
Par contre, elle appartient à un ordre symbolique qui valorise l’union du masculin et du féminin, ainsi que celle de l’humain avec la nature. Un ordre symbolique qui reconnaît l’érotisme féminin comme la manifestation d’une puissance créatrice, renfermant son propre aboutissement, qui n’est pas le désir masculin. C’est cet aspect de la danse orientale qui questionne nos codes, et qui dérange.
* Wendy Buonaventura, « I put a spell on you »