Les agents des puissances étrangères auprès du Divan sont unanimes : Mustafa présente toutes les qualités d’un sultan d’exception. Il est le seul à même de poursuivre l’oeuvre de son père.
Au contraire, Selim est surnommé « l’Ivrogne ». Maladivement obèse, il ne tient pas en selle. Ses seuls intérêts sont le vin et les femmes.
Sa chance est d’être le fils d’Hürrem.
Certes, il a des frères. En l’absence de règles de succession claires, Bayezid est un candidat légitime au trône. Toutefois, cet enfant déplaît à son couple parental. A un point tel que cela lui sera fatal.
Comme Mustafa, l’effacé cadet semble avoir développé des goûts intellectuels. Il aurait été passionné de poésie et de sciences.
Quant au benjamin, Djihanguir, il est chéri de ses parents. Mais il est handicapé et malade. Or, un infirme ne peut pas accéder au sultanat.
Un complot aux fins de mettre Mustafa sur le trône est-il matériellement constitué ? Aujourd’hui encore, les avis sont partagés. Aucun élément ne le corrobore définitivement.
Mais c’est bien la menace des ambitions personnelles de son aîné qui est agitée dans l’esprit de Süleyman. Tout comme pour l’assassiné Grand Vizir Ibrahim Pacha. Qu’il a peut-être plus aimé encore.
Alors, le sort du plus apte des héritiers est scellé. Depuis longtemps, l’intelligent Mustafa sait que sa mort est ardemment souhaitée par l’épouse de son père. Toutefois, sa rectitude morale lui défend de se défier totalement du sultan.
Le 6 octobre 1553, à Eregli, Süleyman, en campagne militaire, convoque Mustafa dans sa tente. C’est là que le fils le plus doué est étranglé par « les muets du sérail. » Il est enterré en exil.
Dans un premier temps, afin de calmer leurs ardeurs, le sultan les nomment à des postes dans des provinces éloignées d’Istanbul.
Mais Bayezid renâcle à ce déplacement.
Süleyman, sans doute encouragé par Selim et sa faction, qualifie son fils désobéissant de rebelle. Les choses s’enveniment. Une guerre civile éclate, que Selim gagne.
Dès lors, les jours de Bayezid sont comptés. Il se réfugie à la cour du chah de Perse, où il est exécuté, avec ses quatre fils, par les bourreaux envoyés par son frère.
Le représentant de Venise à Istanbul raconte que Süleyman aurait confié : « Je remercie Dieu, d’avoir pu vivre assez longtemps pour voir les musulmans délivrés de la guerre entre mes fils. Je passerai ainsi le reste de mes jours en paix. Si le contraire s’était produit, j’aurais vécu et serais mort dans le désespoir. »***
Que serait-il advenu si Mustafa était monté sur le trône ? Aurait-il identifié la nécessité de réformer les archaïques modes de production, inaptes à endiguer la percée des produits occidentaux sur les marchés ? Comme son père, aurait-il maintenu une main de fer sur l’administration ? Aurait-il fondé une monnaie forte et stable ? Sa protection étendue sur les arts aurait-elle favorisé l’émulation et le renouveau nécessaires après toute apogée ?
Comme tous les enfants du couple, Selim grandit dans le harem jusqu’à ses six ou sept ans. Tandis que les filles sont tôt entraînées pour occuper la place qui leurs échoie, les garçons sont laissés à leurs désirs.
Trés tôt, Sélim semble avoir séduit ses parents, probablement aux dépens de son entourage, réduit à supporter ses penchants égoïstes et cruels.
Quant aux occidentaux qui aiment à célébrer la monogamie de Süleyman, c’est aller un peu vite et oublier le contexte. Une fois Hafsa Sultane décédée et Ibrahim Pacha assassiné, quelle habitante du harem serait suicidaire au point de défier la toute puissante Hürrem sur son territoire ? Si quelques téméraires ont pris le risque, elles y ont sans doute perdu la vie. De même pour celles qui auraient pu être choisies par Hürrem afin de distraire son aimé. Une maladie arrive vite …
La mort fauche Süleyman durant la campagne militaire de Hongrie. Il est inhumé aux côtés d’Hürrem à l’ombre de la mosquée Süleymaniye.
* Guillaume Postel, 1537
** Corps d’infanterie composé d’esclaves appartenant au sultan, organisé et influent.
***Frédéric Hitzel, « Soliman le Magnifique, sultan flamboyant. »