Souffrir, jouer encore, créer toujours

Tous droits réservés : Les Taquineurs de muses et Sennahar

Que fait une danseuse orientale quand on lui défend de danser ? Elle renoue avec d’anciennes amours, le théâtre et l’Histoire, et acquiert une nouvelle compétence : la danse baroque.

Du 17 mars 2020 au 1er août 2022, une série de lois et de règlements dits « sanitaires » ont interdit, ou limité, l’ouverture des studios de danse, ainsi que l’organisation d’événements culturels et de soirées privées.

J’ai expliqué dans « Lettre ouverte à la presse » quelles avaient été les conséquences financières, psychiques, voire pondérales, de ces mesures sur les danseuses et les danseurs.

Le 30 octobre 2020, les studios sont à nouveau fermés pour une période qui va durer 220 jours. La dépression menace.

A Saint-Michel-en-l’Herm, je travaille chez et avec Jean-Claude Le Riboteur, danseur baroque au parcours jalonné de belles prestations événementielles dans des lieux de prestige : « Tu me ferais travailler le menuet ? » lui demandai-je un jour morose de fermeture.

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Cela a commencé ainsi. Le menuet. Puis nous convînmes qu’il me fallait un costume XVIIIe. Or, étant donné mes mensurations, il fallait le créer sur mesure.

Comme Jean-Claude est également couturier et perruquier, il a rouvert ses bacs de plastique entassés en colonnes sérieuses dans son atelier. Les tissus pour mon costume de bergère candide s’y trouvaient sagement pliés.

Il commença par concevoir, couper, assembler une pièce qu’il n’avait jamais réalisée auparavant : le corps à baleine, rose pâle orné de touches rouges. Cela l’occupa. Un autre élément requit toute son attention, et quelques heures de ses insomnies : la surjupe à poches retournées.

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Quant à moi, j’apprenais d’autres danses du siècle des Lumières : puisque costume – et perruque – j’allais porter, il me fallait les honorer. Je fronçais bien un peu le nez à la première rencontre avec mon conséquent…cul …mais si l’Art l’exigeait …

C’est ainsi que cela se passa. De fil en aiguille, de couvre-feux en passe vaccinal, les « non essentiels » que nous sommes donnèrent peu à peu naissance à deux personnages à l’esprit vif qui prirent rapidement leur indépendance : Lemarquis et Melle Trianon.

Ils dansaient ; nous décidâmes qu’il s’habilleraient également. Et pour donner du corps à l’ensemble, nous consultâmes les volumes de nos bibliothèques : histoire du costume, histoire des couleurs, histoire de la danse, histoire de la circulation sanguine, langage des éventails … autant d’éléments qui trouvèrent naturellement leur place dans nos improvisations de plus en plus étayées et enjouées.

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Durant deux saisons, nous avons joué « à la maison ». A présent, nous allons entamer une nouvelle étape pour porter ce spectacle aussi haut qu’il promet de pouvoir aller.

En dépit de l’imbécile quotidien, des vicissitudes de la fortune, des outrages du temps, d’un coeur blessé, d’une âme défaite, se rendre à l’intangible : souffrir, jouer encore, créer toujours.

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