« Lève-toi et lie celui que je regarde pour qu’il soit mon amant, puisque j’adore son visage. »
Incantation à la déesse Hathor
Une prière intemporelle et féminine, comme le désir de l’amoureuse qui dévore chaque instant du jour et de la nuit…
Le terme Egypte antique embrasse plus de trois millénaires et des cultures matérielles et spirituelles qui se sont ajoutées ou relayées.
A l’origine, les vastes territoires de la haute (sud) et basse (nord) Egypte entourant le Nil aux sources mystérieuses. Des chefs de guerre règnent sur des fiefs, un fleuve apporte tour à tour l’abondance et la tragédie, des cosmogonies et des mythes nombreux apaisent l’âme des hommes.
Une forme archaïque de déesse vache est attestée dans plusieurs endroits. Elle préside aux forces vitales et côtoie, entre autres, la déesse serpent Ouadjet au nord et la déesse vautour Nekhbet au sud.
Puis apparaît Narmer
Il unifie le nord et le sud et fonde la première dynastie des rois d’Egypte – appelés pharaon au 1er millénaire avant J.C. – qui en compteront 30. Administrateur avisé, il fait procéder au premier recensement et partage le nouveau royaume en 40 provinces. Des travaux d’irrigation sont entrepris aux fins de développement de l’agriculture et de l’élevage. Nous sommes autour de 2575 avant J.C. et l’ancien empire vient de naître. Il dure jusqu’aux alentours de 2200 avant J.C. quand les gouverneurs des provinces s’affranchissent de l’obéissance due au roi et détruisent l’unité du pays.
C’est la première période intermédiaire, quand le chaos domine jusqu’à l’avènement de Montouhotep II qui restaure l’unité du royaume. Nous sommes en 2150 avant J.C. et la civilisation égyptienne du moyen empire s’épanouit jusqu’en 1800 avant J.C. Puis des invasions successives mettent un terme à cette deuxième période faste et ouvrent la deuxième période intermédiaire.
Les troubles cessent quand Ahmôsis libère le royaume et fonde le nouvel empire qui s’étend de 1580 à 1070 avant J.C. L’Egypte domine les royaumes voisins, notamment ceux de l’est, qui lui paient de lourds tributs. Dans le harem de pharaon affluent les princesses étrangères offertes en gage de loyauté. L’intensification des relations culturelles avec l’orient est un point important pour la danse orientale.
En effet, il semble, selon les rares sources disponibles, qu’une nouvelle forme de danse fasse son apparition en Egypte : « Vers l’an 1500 [avant J.C.], au début du nouvel empire, nous assistons à une transformation. De même que la conquête du proche orient par la 18e dynastie a dénationalisé la musique égyptienne et lui a imprimé un caractère féminin et asiatique, la bayadère des pays conquis, émigrée en Egypte, vient se ranger aux côtés de la danseuse autochtone. La danse nouvelle que nous montrent les représentations de cérémonies funéraires et de banquets n’a plus rien d’ample ou de masculin, ni les grands pas, ni les jetés, ni l’attitude rigide et angulaire. Les lignes se déroulent souples et nonchalantes, sans heurts et sans cassures et même les mouvements rapides et passionnés restent étroits. C’est l’importation des filles de l’Asie qui a donné à la danse égyptienne un style proprement féminin. »* Peut-être sommes nous là en présence d’une des sources de la danse orientale. L’un des éléments constitutifs de sa puissance, savoir l’alliance de l’intensité et de la précision, est clairement souligné.
Au nouvel empire succède la troisième période intermédiaire qui voit le clergé d’Amon à Thèbes prendre le pouvoir sur le sud de l’Egypte. Une lutte entre les pharaons au nord et les prêtres au sud s’engage. Elle dure jusqu’à la fondation de la 25ème dynastie des rois kouchites, autour de 700 avant J.C.
Voici très brièvement le contexte dans lequel le culte d’Hathor est célébré. Selon l’endroit et la période, la déesse est rattachée à différentes cosmogonies et théogonies.
Durant trois millénaires, son image et son culte sont très répandus. Les clergés l’associent souvent aux dieux qu’ils servent, et tardivement, elle est liée à Isis.
L’un de ses hauts lieux de culte est le site de Dendéra.
Ses attributions récurrentes sont l’ivresse, la danse, l’amour, la musique et le plaisir sexuel. Auxquelles s’ajoutent un rôle protecteur du pharaon et une action dans le monde de la renaissance. Toutes attributions qui ne sont pas sans rappeler celles d’Inanna.
La Lointaine
Commençons par le côté le plus sombre de la déesse.
Elle est reliée au mythe de Lointaine. Un jour que les hommes défiaient le pouvoir de Rê, il leur envoya son œil pour les châtier de leur arrogance. Selon les versions, cet œil s’incarne en l’une de ses filles, parfois Sekhmet, déesse lionne, parfois Hathor. Le carnage est terrible, la déesse se déchaîne et se délecte du sang des hommes qu’elle massacre. A tel point que Rê, pris de remords, tente de la rappeler. En vain. Alors, il lui tend un piège : il déverse des litres de bière teinte de rouge sur la terre. Hathor, pensant qu’il s’agit de sang humain, s’en gorge jusqu’à éteindre sa soif… enivrée et domptée, elle cesse de tuer.
Hathor est donc la déesse de l’ivresse, mais pas de n’importe laquelle. En effet, la morale des anciens égyptiens vise à la sobriété et à l’hygiène.
Il s’agit donc de l’ivresse comme remède aux pulsions destructrices qui submergent l’homme. Dès lors, elle est massivement encouragée lors des fêtes de la déesse, parmi lesquelles la Fête de la vallée et la Fête du nouvel an. Hors les porteurs de la barque sacrée, qui doivent tenir debout du début à la fin de la procession, tout le monde est invité à s’enivrer jusqu’à franchir les limites au-delà desquelles la déesse se révèle. Mais il faut savoir que, le lendemain, alors que les corps gisent là où ils sont tombés, les prêtres ont pour habitude de faire battre tambours pour réveiller les participants qui doivent retourner à leurs domiciles – et à leurs tâches pour ceux qui le peuvent…
Les fêtes de masse ne sont pas les seules occasions de s’enivrer. Les banquets permettent également aux plus aisés de « satisfaire la déesse ».
« Le Roi vient pour danser et il vient pour chanter… Son sistre est d’or et son collier de malachite. Ses pieds dansent pour la Maîtresse de la musique. Il danse pour elle et elle aime cela! »
Hymne à Hathor (temple de Dendéra)
La Main d’Atoum
Car avec les dieux d’Egypte, la satisfaction est primordiale. Si le pharaon est le propriétaire unique de l’ensemble des terres, c’est qu’il les a reçues des dieux qui y séjournent. Et la lourde tâche de les satisfaire lui incombe. Un dieu frustré est un dieu dangereux.
Prenons Atoum, l’individualité de Rê au crépuscule, « celui qui a créé son nom », le dieu démiurge, père des dieux, créateur de toute chose mais, à ses débuts … seul. Sa main devient alors sa part féminine et de l’onanisme naissent deux déesses Ioussaas et Nebet-hetepet, l’une et l’autre étant assimilées à Hathor.
Or, l’un des emblèmes majeurs d’Hathor est un objet qui s’agite : le sistre, qu’elle porte dans la main gauche. Le sistre est un instrument de musique en forme de hochet employé par le clergé des deux sexes.
Aussi, la question vient naturellement de se demander si, à ce mouvement musical de vibration, correspondrait le mouvement dansé de vibration de hanches. Mouvement très peu stylisé de la satisfaction au féminin, porté par la danse orientale, mais observé dans d’autres gestuelles. Alors, il serait possible qu’il s’agisse d’un mouvement plus ancien que ceux issus des conquêtes orientales, utilisé lors des célébrations, pour contenter les dieux et préserver l’harmonie du monde, autant que l’équilibre psychique des hommes.
Quoiqu’il en soit, les anciens égyptiens sont souvent présentés comme une civilisation obsédée par le passage dans l’autre monde. C’est sans doute vrai. Mais il semble qu’ils aient eu aussi un rapport plus direct à la part d’insu de l’âme humaine, celle qui la domine, et qu’ils aient trouvé des moyens de la calmer avec grâce et sensualité.
*Curt Sachs, « Histoire de la danse »