L’ailurophile désigne celui ou celle qui aime les chats. Le mot vient du grec ancien « ailouros » qui signifie « chat ».
Loin du préjugé occidental de « la vieille aux chats » et de l’exhibition de chatons sur des « boites à clics », le film de Ceyda Torun, sorti en France en 2017, est notamment salué par The Time et Variety.
Son esthétique est irréprochable. Les images sont somptueuses. Les plans aériens pris par drone alternent avec des plans grand angle pris à hauteur de cheville humaine ou, plus exactement, d’épaule féline. Il ressort de l’ensemble un sentiment d’échange permanent entre ciel et terre, qui saisit la Vie dans son foisonnement essentiel et son mouvement éternel.
Dès lors, la beauté plastique atteint le plus haut degrés d’esthétique, car chaque image est habitée par ce qui existe et ne se voit pas, savoir l’Amour, au sens freudien du terme, qui s’accomplit dans la relation des êtres avec leur milieu.
« La vie est belle. Quand on sait comment vivre. On peut aimer si notre coeur est ouvert. Tout est beau quand on regarde avec amour. Si vous savez apprécier la présence d’un chat, d’un oiseau, d’une fleur … Que dire ? Le monde vous appartient. » constate avec tendresse un stambouliote.
A première vue, le propos du film semble simple, voire mièvre. En effet, il s’agit de sept portraits de chats vivant à Istanbul. Ils n’appartiennent à personne, et reçoivent les attentions et les soins des habitants des quartiers, ou des travailleurs des sites industriels, qui constituent leur territoire.
Depuis ce cadre commode, apparaissent et se développent, dans leur immense complexité et leur fragile raffinement, toutes les interactions des chats et des Hommes, qui conduisent à se pencher avec humilité sur la condition de chacun.
A Istanbul, animaux humains et non humains vivent dans la rue. Elle n’est pas considérée comme un lieu dangereux par essence. Il s’y trouve, comme dans l’existence, le pire et le meilleur. Se défendre du premier c’est se priver du second.
Les cafés se déploient contre les murs décrépis. Les chats vont et viennent dans les jambes des passants, quémandent des morceaux de nourriture et des caresses, qui leurs sont accordés avec grâce.
Dans la rue, les chats connaissent des morts violentes. Ils se font écraser. Mais ils trouvent également des abris, de l’aide, ainsi que des points de nourrissage et des abreuvoirs que les habitants approvisionnent.
« Ces abreuvoirs sont pour les chats et les chiens. Si vous ne voulez pas manquer d’eau dans votre prochaine vie, ne touchez pas à celle-ci ! » prévient un panneau.
Le mythe de la modernité frappe les autorités, ici comme ailleurs. Les espaces historiques sont détruits pour construire des bâtiments hygiéniques, où les imbéciles cherchent une vie stérile.
Toutefois, le génie d’un peuple ne se laisse pas encager avec aisance. Istanbul est un port millénaire et le meilleur ennemi des rats reste les chats.
Sans compter que les stambouliotes vivent avec le plus petit des félins depuis l’antiquité du temps. De cette longue histoire, ils ont appris que les chats sont de puissants anti-dépresseurs.
Parce qu’ils créent des relations entre les gens. La douceur de vivre d’un quartier se mesure aux bien-être de ses chats. Dans certains quartiers, tous ont un compte ouvert chez le vétérinaire. Des collectes sont organisées, les pourboires sont les assurances vie félines.
Et parce qu’ils facilitent notre prise de conscience de la valeur de la vie, qui peut s’arrêter à tout moment. Prendre soin d’eux, c’est exercer notre capacité d’être au monde, et écrire notre modeste part dans le vaste dessein qui nous dépasse. Cela stimule biologiquement la région de notre cerveau dédiée au plaisir et au bien-être.
Tout cela incarné par des images à couper le souffle et des histoires singulières qui vont droit au coeur. On est tétanisé de bonheur quand le générique, délicatement illustré de jolis dessins, se déroule. Les bonus sont à regarder absolument.
La bande originale de Kira Fontana est une merveille de finesse et de joie.