Journaliste, poète et grand admirateur de Rimbaud dont il entreprit de reconstituer la vie et de rassembler les écrits à une époque où Rimbaud n’était pas encore à la mode, Rodolphe Darzens assiste, en 1889, à une représentation de danse orientale. Il est alors l’un des nombreux visiteurs de l’exposition universelle de Paris. A cette occasion, une rue du Caire est reconstituée, au fond de laquelle un café égyptien est aménagé. C’est dans ce contexte marqué par une vision orientaliste et mercantile de la culture égyptienne que les européens découvrent la danse orientale, alors appelée couramment danse du ventre.
Les expositions universelles ont d’abord eu pour objectif de célébrer les progrès technologiques et l’industrie. Ensuite, les pays organisateurs profitèrent de ces évènements pour mettre en scène la variété des créations artistiques humaines, plus pour établir la supériorité de la civilisation européenne, que pour témoigner avec authenticité de l’existence d’autres formes esthétiques.
C’est dans les expositions universelles que les danses dites exotiques ont fait leur apparition en Europe, afin de distraire le public. L’appellation danse orientale, qui est géographiquement indéterminée, témoigne de cette manière de voir européenne pour laquelle l’exotisme, ce sont les autres 😉 issus d’un lointain indéfini et figé dans le temps.
De cette époque a été conservé le préjugé que l’élément fondateur de la danse orientale est l’appartenance, ou son imitation, de la danseuse aux pays du Moyen-Orient ou du Maghreb, favorisant une vision standardisée des interprétations au détriment de l’hétérogénéité des gestuelles et de la créativité artistique.
« Une femme quitte l’escabeau où, jusqu’à ce moment, elle a fumé […]. La tête est bestiale sous la grosse chevelure bleue semée de sequins, le torse gras dans la courte veste lilas sous laquelle saillent les seins lourds, depuis la taille jusqu’à l’aine le ventre n’est qu’à peine voilé par une gaze jaune. De la ceinture très basse, une jupe étroite tombe, moulant les jambes. La femme s’est levée, onduleuse. Les coudes toujours au corps, mais les mains en avant, ayant aux doigts des castagnettes de bronze, les sagats sonores […]. Tout à coup, les sagats résonnent, un frisson parcourt le ventre de la danseuse… Peu à peu ce frisson se précise : c’est un lent et rythmique mouvement qui fait refluer la rondeur qu’enserrent les hanches, vers la ceinture. Mais ce frémissement monte, arrive jusqu’aux seins, qui sans que bougent les bras ni les épaules, se soulèvent, surgissent, puis s’abaissent, sont secoués comme par un spasme intérieur. Plus haut encore, le frisson s’est propagé : les yeux maintenant fixes, la face étrangement calme des sphinx de pierre, c’est la tête qui bouge par saccades de gauche à droite, sans s’incliner […]. Puis tout le torse ondule, tourne de plus en plus vite et, dans une finale érection de tout son être, la danseuse épuisée s’arrête […]. »
La danse qui est décrite est une danse d’énergie. C’est une des réalités de la sensualité féminine qui est donnée à voir. Sous l’influence des spectacles de cabaret du Moyen-Orient, et du cinéma, la danse orientale acquit des qualités formelles pour s’adapter aux représentations données sur des scènes à l’européenne.