Certaines des photos qui illustrent les billets de ce blog ont été prises par des spectateurs qui me les ont données. Je les aime beaucoup parce qu’elles témoignent d’un moment où un regard a rencontré ma danse.
La danse pose la question de ce que nous donnons à voir. Je n’aime pas les photos de danse orientale qui sont en fait des photos posées. Je ressens très clairement que la danse est absente, et que la danseuse a voulu donner une image d’elle, et non de la danse.
Photographier la danse est un vrai défi. Il faut derrière l’objectif une personne qui maîtrise la technique photographique, et qui possède également la sensibilité nécessaire pour transformer en image l’âme du mouvement.
Deux univers
La rencontre avec Patrice Bucher n’était pas prévue dans mon agenda. Nous nous sommes retrouvés autour d’une table, abrités par un mur recouvert de lierre, dans une cour intérieure qui nous protégeait de la chaleur orageuse. Je suis actuellement en recherche et en formation, et je n’avais pas du tout imaginé poser au cours de cette villégiature. Je pensais ma danse fragile, et je me demandais ce que j’allais pouvoir donner à l’objectif. D’un autre côté, l’univers élégant de Patrice me séduisait beaucoup. J’ai donc choisi de lui faire confiance en ne lui cachant rien de mon manque d’assurance.
Le photographe, la danse et la lumière
Quelques jours après, nous voici dans des couloirs de lumière qui bordent un petit jardin. L’endroit a tout d’un paradis félin. L’escalier monumental, les tomettes poussiéreuses et les murs frais me procurent un peu de sérénité.
Sans beaucoup d’aisance, je me prête aux essais lumière. Ce n’est pas utile de danser. J’en profite pour prendre mes marques, convoquer des états de corps, éveiller des émotions. Petit à petit, mon corps et mon esprit gagnent en sensibilité et en mobilité. Patrice se tient à distance, laissant un espace entre nos deux univers. Il est absorbé par le choix de réflecteurs et les idées que lui donnent les premiers éclairages.
Quand je quitte mes sandales, le contact avec les tomettes légèrement tièdes m’apporte la première impulsion de la danse. Alors, les choses deviennent simples. Les actions se développent hors du temps : changement de costume, changement de décor, changement de danse. Le silence entrecoupé de déclics laisse la place à mes rythmes et mes musiques intérieurs. Je n’émerge que pour écouter les explications de Patrice. La lumière dont il s’empare fait le reste.
Rien ne me vient de l’extérieur. Je ne pense pas à mon image : je suis dans les émotions que j’ai rendues disponibles en acceptant de lâcher prise. A la fin des 4 heures, j’ai l’intuition que les photos seront de belles photos de danse. Je suis satisfaite d’avoir dansé « avec » l’état dans lequel je me trouve, sans chercher à le dépasser, mais, au contraire, en l’accueillant.
Pas de retouches
La société de consommation travaille sans cesse à faire croire aux femmes qu’elles sont toutes nées avec des défauts, qu’elles doivent faire disparaître, sous peine de ne pas être aimées. Mais pour la danse orientale, toutes les femmes sont parfaites. Il ne s’agit pas de correspondre à un modèle, mais de danser un puisant dans notre histoire et dans nos émotions les inspirations qui font de nous des êtres uniques. Alors, je ne vois pas l’intérêt de retoucher des photos pour les faire correspondre aux codes esthétiques qui ne sont pas ceux de la danse orientale.
La danse orientale s’inscrit dans la réalité des femmes et de leurs corps. J’aime ces photos qui révèlent cet ancrage.