La danse orientale vue par Gustave Flaubert

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Quand Flaubert séjourne en Egypte (1850/1851), les danseuses ont été  bannies du Caire en application de l’édit de Méhémet Ali. Elles exercent principalement à Esneh, Louxor et Kénèh. La profession connait des mutations sous la pression de désordres politiques et l’arrivée croissante des occidentaux.

Au Caire, les danseurs masculins occupent la place laissée vacante.

Le nom « almée » ne désigne plus une artiste savante et distinguée, dansant seulement pour les femmes, mais une artiste qui se prostitue à de riches clients, principalement étrangers. Toutefois, les almées demeurent des danseuses et des chanteuses de premier ordre. En 1829, l’érudit égyptien Tahtâwî compare leur instruction et leur éloquence à celles des comédiennes parisiennes. Cependant, il ajoute que la morale des almées est nettement plus relâchée.

Si les almées agrandissent leur « répertoire » c’est sous la pression conjuguée de l’insécurité de leur existence dans le sud de l’Egypte et de la présence occidentale. S’enrichir est la seule façon de faire face aux raids des soldats albanais, aux taxes et aux vols dont elles sont l’objet.

Les almées continuent d’exercer dans les mêmes conditions que leurs prédécesseurs, à l’abri des murs des maisons où elles se produisent. Seules les ghawâzî, et les almées «communes » employées par les classes les plus populaires, dansent en public.

C’est dans ce contexte que Flaubert écrit sur la danse orientale.

Hassan el Bilbesi

« Un danseur – c’était Hassan el Bilbesi : coiffé et habillé en femme, les cheveux nattés en bandeau, veste brodée, sourcils noirs peints, très laid, piastres d’or tombant sur le dos – autour du corps, en baudrier une chaîne de larges amulettes d’or, carrées – il joue des crotales – torsions de ventre et de hanches splendides – il fait rouler son ventre comme un flot – grand salut final où ses pantalons se sont gonflés, répandus. »

Plus tard, Flaubert assiste à nouveau à une prestation d’Hassan el Bilbesi, qui est cette fois accompagné par un autre danseur.

« L’effet résulte de la gravité de la tête avec les mouvements lascifs du corps – quelquefois ils se renversent tout à fait sur le dos, par terre, comme une femme qui va s’étendre et se relèvent tout à coup d’un soubresaut brusque – tel un arbre qui se redresse une fois le vent passé. – De temps à autre, pendant la danse, le cornac fait des plaisanteries et baise Hassan au ventre – Hassan, tout le temps, ne s’est pas quitté de vue de dedans la glace. »

Danse clandestine chez la Triestine 

« La Triestine avait une peur violente de la police, et qu’on ne fît du bruit chez elle. Abbas Pacha qui aime les hommes vexe beaucoup les femmes – on ne peut dans cette maison publique ni danser ni faire de la musique – elle a joué du tarabouch sur la table avec ses doigts, pendant que l’autre ayant roulé sa ceinture, et l’ayant nouée bas sur ses hanches, dansait. Elle nous a dansé une danse d’Alexandrie qui consiste, comme bras, à porter alternativement le bord de la main au front. Autres danse : bras droits étendus devant soi, la saignée un peu fléchie, le torse immobile, le bassin fait des trilles. »

Kuchouk-Hânem

« La danse de Kuchouk est brutale comme un coups de cul – Elle se serre la gorge dans sa veste de manière que ses deux seins découverts sont rapprochés et serrés l’un près de  l’autre – pour danser, elle met comme ceinture pliée en cravate un châle brun à raie d’or avec trois glands suspendus à des rubans – elle s’enlève tantôt sur un pied, tantôt sur un autre, chose merveilleuse : un pied restant à terre, l’autre se levant passe devant le tibia de celui-ci, le tout dans un saut léger. J’ai vu cette danse sur des vieux vases grecs. »danseorientale_sol

Sur demande insistante de ses clients, Kuchouk-Hânem accepte à contre cœur de danser «  l’abeille. » Les yeux des musiciens sont bandés pour la circonstance.

« Kuchouk s’est déshabillée en dansant. Quand on est nu, on ne garde plus qu’un fichu avec lequel on fait mine de se cacher et on finit par jeter le fichu – voilà en quoi consiste l’abeille.

Du reste elle a dansé très peu de temps et n’aime plus danser cette danse – A la fin, quand après avoir sauté de ce fameux pas, les jambes passant l’une devant l’autre, elle est revenue haletante se coucher sur le coin de son divan, où son corps remuait encore en mesure, on lui a jeté son grand pantalon blanc rayé de rose, dans lequel elle est entrée jusqu’au cou, et on a dévoilé les deux musiciens. »

« Autre danse : on met par terre une tasse de café – elle danse devant – puis tombe sur les genoux et continue à danser du torse, jouant toujours des crotales, et faisant dans l’air une sorte de brasse comme en nageant – cela continuant toujours, peu à peu la tête se baisse – on arrive jusqu’au bord de la tasse que l’on prend avec les dents – et elle se relève vivement d’un bond. »

Bambeh

«Bambeh affectionne la danse en ligne droite – elle va- avec un baisser et un remonter d’un seul côté de hanche – sorte de claudication rythmique d’un grand caractère.»

Azizeh

«Cette grande fille s’appelle Azizeh – sa danse est plus savante que celle de Kuchouk. Pour danser elle quitte son vêtement large et passe une robe d’indienne à corsage européen. Elle s’y met – son col glisse sur les vertèbres d’arrière en avant, et plus souvent de côté, de manière à croire que la tête va tomber – cela fait un effet de décapitement effrayant.

Elle reste sur un pied, lève l’autre, le genou faisant angle droit, et retombe dessus – ce n’est plus  de l’Egypte, c’est du nègre, de l’africain, du sauvage. C’est aussi emporté que l’autre est calme.

Autre pas : mettre le pied gauche à la place du droit, et le droit à la place du gauche, alternativement, très vite.

En dansant, précipités des hanches furieux et la figure toujours sérieuse. Une petite fille de deux ou trois ans, en qui le sang parlait, tâchait de l’imiter, et dansait d’elle-même, sans rien dire.»

Deux danseurs anonymes à Fechn

Dans le village de Fechn sur le Nil, Flaubert assiste au spectacle de deux danseurs dans la rue.

« Bruit régulier de grosse caisse et de cymbales – deux hommes dansaient ou plutôt s’inclinaient de droite et de gauche, l’un devant l’autre, en faisant des mines avec leur milayah : ça tenait le milieu entre le danseur et le derviche, et était en somme assez pitoyable. »

Le témoignage de Flaubert est précieux parce qu’il fait connaître la diversité des techniques. Fin observateur, il saisit la personnalité de la danseuse (ou du danseur.) La danse orientale n’apparaît pas comme une danse folklorique homogène et codifiée, mais comme une danse qui prend sa source dans l’instinct et le caractère de celle qui l’exécute. 

Pour aller plus loin : Gustave Flaubert, Voyage en Egypte