J’ai deux amours 🙂 : la danse orientale et les chats. J’ai découvert grâce à mes lectures que ces deux passions sont beaucoup plus liées que je ne l’imaginais.
Dans l’Egypte antique, il y a Bastet, incarnée parfois dans un corps de chatte, parfois dans celui d’une femme à tête de chat. Fille de Rê, elle est la déesse de la joie, de la musique, de la chaleur, elle est maîtresse du foyer et protectrice des naissances. Des cérémonies lui sont consacrées durant la crue du Nil, indispensable à d’abondantes récoltes. Son culte est donc lié à la fertilité.
Dans sa forme primitive, Bastet est Sekhmet, déesse lionne envoyée sur terre par Rê pour détruire l’humanité qui conspire contre le pouvoir des dieux. Son nom signifie «la puissance.» Déesse guerrière et solaire, elle commande les maladies et la guérison. Cela fait d’elle la protectrice des médecins, tandis que les prêtres consacrés à son culte sont réputés pour leur science vétérinaire.
Si Bastet est la forme ‘domestique’ de Sekhmet, toutes deux sont les expressions d’une même énergie : celle de la Féminité qui préside à l’accroissement du monde en relation étroite avec les forces de l’univers.
De même, dans le panthéon nordique, Freya, déesse de l’amour, de la fécondité, protectrice des accouchements et des chats, est également une divinité martiale qui partage avec Odin les âmes des guerriers morts au combat. Elle connaît la magie. Son nom signifie « dame » ou « femme. »
La mythologie nordique a été conservée par les écrits médiévaux chrétiens. Ces sources ne sont pas objectives et elles doivent être considérées avec prudence. Toutefois, il est admis que Freya possède les attributs des déesses romaines Vénus et Minerve.
Or, cette divinité qui incarne les énergies féminines possède un char extraordinaire tiré par… des chats.
Je me suis demandé pourquoi le chat est lié, au nord comme au sud, à ces représentations de l’énergie féminine, laquelle est la source et l’objet de la danse orientale.
Féline sensualité
La première réponse qui vient à l’esprit est celle de la sensualité. Le chat décide quand il veut être caressé, et par qui. Il se livre alors entièrement au plaisir physique. Puis, quand il en a assez, il s’éloigne de la main bienfaisante, avec indifférence. Chateaubriand a écrit « On le caresse, il fait le gros dos ; mais c’est un plaisir physique qu’il éprouve et non, comme le chien, une niaise satisfaction d’aimer et d’être fidèle à son maître, qui l’en remercie à coups de pied. »
Cette attitude vis-à-vis du plaisir recherché pour soi correspond à la démarche de la danse orientale. L’expression intime de la danseuse par le mouvement ne vise pas à plaire. La danseuse orientale atteint son apogée quand elle cesse de vouloir séduire les regards extérieurs.
Féline intimité
De récentes études montrent que les chats s’entendent mieux avec les femmes. L’une des raisons avancées pour expliquer cette relation privilégiée est que les femmes ont une gestuelle et des tonalités dans la voix qui conviennent mieux au chat, amateur de calme, de sécurité et d’endroits réservés.
Le chat est également réputé pour aimer la chaleur. Un chat au soleil incarne parfaitement la satisfaction et le bien-être. Or, la chaleur est également celle du foyer, où règne les femmes.
Les danses pelviennes, dont fait partie la danse orientale, symbolisent cette union favorable à la vie entre l’intime et la chaleur.
Féline fécondité
Le chat a des « reins féconds » (Baudelaire) Les portées sont nombreuses et abondantes. Elles contribuent à assurer la survie de l’espèce dans un environnement hostile.
Aux origines, les êtres humains considéraient que la fertilité des femmes et la fertilité de la terre étaient liées. Les femmes détenaient le pouvoir d’attirer sur elles et sur le monde l’énergie divine nécessaire à l’accroissement du monde. Les danses pelviennes symbolisaient cette relation. A l’âge des scanners et des méthodes de procréation assistée, les mystères de la séduction et de la vie utérine demeurent entiers. Et les femmes en sont les gardiennes.
Féline connaissance
Bien que domestiqué, le chat n’a pas totalement renoncé à son indépendance sauvage. Le chat vit la nuit, et ses vagabondages sont connus de lui seul. Le chat partage avec d’autres animaux, et certains dieux des premiers panthéons, la pratique du cannibalisme parental. Il arrive à la chatte de dévorer les nouveaux nés qui ne sont pas viables. Cela contribue à fortifier l’espèce. Son savoir n’est pas humain, mais personne ne le conteste.
Le chat est associé aux connaissances féminines ayant trait à l’accouchement et à la guérison. Les monothéismes, et les civilisations patriarcales, ont toujours rejeté à la marge des sociétés, sous l’accusation de sorcellerie, le savoir des femmes transmis de génération en génération. Ce savoir issu d’un lien ancien avec la nature, de l’observation et de l’empathie est associé à la magie, ce qui permet de lui dénier tout fondement rationnel et acceptable. Toutefois, dans l’inconscient de l’humanité, cette science est réelle. La danseuse orientale la met à jour grâce à sa gestuelle hypnotique qui célèbre la magie inexpliquée des femmes.
Féline folie
Le chat a ses quarts d’heure de folie durant lesquels il peut – littéralement – monter aux rideaux. Ces moments sont aussi soudains qu’inattendus, et ils disparaissent comme ils étaient venus. Colette décrit une de ces crises traversée par la chatte Saha « Pendant une minute, elle s’oublia jusqu’à la frénésie, gratta comme un fox-terrier, se roula comme un lézard, sauta à quatre pattes comme un crapaud, couva une pelote de terre entre ses cuisses comme fait le rat des champs de l’œuf qu’il a volé, s’échappa du trou par une série de prodiges et se trouva assise sur le gazon, froide et pure en domptant son souffle. »
Cette tendance à passer d’un état à un autre sans crier gare est assimilée au caractère féminin. Les hormones y seraient pour quelque chose. Pourquoi l’évolution naturelle a-t-elle rendu les femmes plus réactives à leur environnement et à leurs congénères, cela est encore un mystère. Le fait est que les changements brusques d’humeurs des femmes sont un peu trop souvent assimilés à de la folie. La danse orientale est à l’origine une discipline de soliste. Il s’agit pour la danseuse orientale d’exprimer l’état de corps et l’état d’âme dans lesquels elle est au moment où elle danse. Aucun contrainte ne l’oblige à s’éloigner d’elle-même.
Félin désir
A la saison des amours, le chat se transforme en animal mystérieux et lance des cris qui semblent tout droit sortis d’un bestiaire infernal. Ces feulements, qui font dresser les cheveux sur la nuque, semblent exprimer à la fois la souffrance et l’urgence qui caractérisent le désir amoureux.
Insondables, le désir et le plaisir féminins impressionnent les hommes. Les comportements féminins inconvenants sont souvent comparés à ceux du chat. Enfouie dans l’inconscient, la crainte existe que, comme le chat ronronnant se métamorphose en démon amoureux, la tendre amante se transforme en une goule insatiable, impossible à satisfaire et échappant à toute maîtrise. La danseuse orientale emprunte les différents visages du désir féminin. Elle se les approprie, les fait siens, pour se découvrir et se connaître.
Féline danseuse orientale
Ce n’est donc pas un hasard si les déesses de la fertilité, des accouchements, du foyer, des guérisons, de l’amour que sont Bastet et Freya sont indissociables de l’image du chat. L’énergie féminine s’incarne parfaitement dans ce petit mammifère fascinant. Et quel plus beau compliment peut recevoir une danseuse orientale que celui d’être féline ? 😉
Pour aller plus loin : Roger Maudhuy, Les chats et les hommes, une histoire extraordinaire
Stéphanie Hochet, Eloge du chat