La danse orientale vue par Alphonse et Marianne de Lamartine-Partie 2

En 1832, citadins, paysans et nomades vivent sur les terres de Palestine, du Liban et de Syrie.

Dans les grandes villes, industrie, artisanat et commerce soutiennent un art de vivre partagé par les habitants grecs, arméniens, syriens, arabes et turcs. Cette richesse d’influences disparaît dans les bourgs et les villages.

Des émirs ou des cheikhs exercent l’autorité. Selon les circonstances, ils sont plus ou moins loyaux envers l’Empire ottoman.

Sur toutes les routes, au fil des saisons, de nombreuses tribus vont d’un pâturage à un point de rencontre immuable, accomplissant le trajet hérité de leurs ancêtres, qu’elles transmettent à leurs enfants.

C’est lors d’une pause sur le chemin de Jérusalem, que Lamartine est témoin d’une ronde de villageoises. Elles attendent l’arrivée d’un fiancé parti à Nazareth acheter des présents de noce : « […] d’autres enfin, vêtues de robes plus riches et la tête couverte de bandelettes de piastres ou de sequins d’or, dansaient sous un large grenadier, à quelque distance de la fontaine et de nous ; leur danse, molle et lente, n’était qu’une ronde monotone accompagnée de temps en temps de quelques pas sans art, mais non sans grâce […] elles continuèrent à danser et à chanter pendant tout le temps que dura notre halte, et ne parurent point s’offenser de l’attention que nous donnâmes à leur danse , à leur chant et à leur costume. »

David Roberts, « Nazareth », 1842

Alors qu’il visite les vestiges des temples, principalement de l’époque romaine, de Baalbek, il est convié par l’émir de cette cité à une course de djérid suivi d’une réception.

Quittant le site antique, il découvre la ville « habitée par les Arabes. Celle-ci n’est qu’un monceau de masures cent fois renversées dans des guerres incessantes ; la population s’est nichée comme elle a pu dans les cavités formées par tant de débris […] L’espace occupé par ces ruines de la ville moderne est immense ; il s’étend à perte de vue et blanchit deux collines basses qui ondulent au dessus de la grande plaine […] Le palais de l’émir est une assez vaste cour, entourée de masures de diverses formes […] »

Dans ce décor hétéroclite, le commandeur du lieu apparaît aux hôtes. « L’émir et sa famille, ainsi que les principaux scheiks, revêtus de kaftans et de pelisses magnifiques, mais en lambeaux, étaient assis sur une estrade élevée au-dessus de la foule, et adossée au principal bâtiment. Derrière eux était un certain nombre de serviteurs, d’hommes armés et d’esclaves noirs. L’émir et sa suite se leva à notre approche ; on nous aida à escalader quelques marches énormes formées de blocs irréguliers qui servaient d’escaliers à l’estrade […] »

Les usages de l’hospitalité orientale sont remplis, puis le divertissement commence. C’est là que le bigot qui sommeille en Lamartine subit un choc 😉

« Une musique, formée de tambours, de tambourins, de fifres aigus et de triangles de fer qu’on frappait avec une verge de fer, donna le signal, quatre ou cinq acteurs, vêtus de la manière la plus grotesque, les uns en hommes, les autres en femmes, s’avancèrent au milieu de la cour et exécutèrent les danses les plus bizarres et les plus lascives que l’oeil de ces barbares puisse supporter. Ces danses monotones durèrent plus d’une heure, entremêlées de temps en temps de quelques paroles et de quelques gestes et changements de costumes, qui semblaient dénoter une intention dramatique ; mais une seule chose était intelligible, c’était l’horrible et dégoûtante dépravation des mœurs publiques indiquée par les mouvements des danseurs : je détournai les yeux ; l’émir lui-même semblait rougir de ces scandaleux plaisirs de son peuple, et faisait comme moi des gestes de mépris ; mais les cris et les transports du reste des spectateurs s’élevaient toujours au moment où les plus sales obscénités se révélaient dans les figures de la danse, et récompensaient les acteurs […]Les femmes n’assistaient pas à ce spectacle […] »

Il semble que soient décrits des danseurs professionnels dont le talent consiste à flatter les bas instincts de l’audience. Cette forme de la danse orientale perdure à notre époque. Elle est très présente sur les réseaux sociaux. Il est probable que, faute d’instruction, elle ait également conquis les esprits des « autorités culturelles » dont elle satisfait le sentiment de supériorité mal camouflé.

Il faut relever que les femmes sont absentes. C’est que, contrairement à ce qu’il affirme, Lamartine n’est jamais parvenu là où Lady Mary Wortley Montagu l’a précédé. Les appartements des femmes lui sont demeurés fermés. Il a côtoyé des femmes orientales de confession chrétienne. Il en garde un souvenir enchanteur et onirique : « Vivre pour un seul homme et d’une seule pensée dans l’intérieur de leurs appartements ; passer la journée sur un divan à tresser ses cheveux, à disposer avec grâce les nombreux bijoux dont elles se parent ; respirer l’air frais de la montagne ou de la mer du haut d’une terrasse ou à travers les treillis d’une fenêtre grillée ; faire quelques pas sous les orangers et les grenadiers d’un petit jardin pour aller rêver au bord d’un bassin que le jet d’eau anime de son murmure ; soigner le ménage, faire de ses mains la pâte du pain, le sorbet, les confitures ; une fois par semaine, aller passer la journée au bain public en compagnie de toutes les jeunes filles de la ville, et chanter quelques strophes des poètes arabes en s’accompagnant sur la guitare ; voilà toute la vie de l’Orient pour les femmes. »

Mais ni lui, ni Marianne n’accèdent au danseuses réservées exclusivement aux harems.

Considérant la réelle sensibilité de Lamartine, quoi qu’inégale en fonction du sujet auquel il s’attache, son témoignage aurait été intéressant. Comme celui qu’il livre après sa visite du marché aux esclaves à Constantinople.

Ou le regard charmé qu’il porte sur la relation que les turc entretiennent avec la nature. « Les Turc vivent en paix eux-mêmes avec toute la création animée et inanimée ; arbres, oiseaux ou chiens, ils respectent tout ce que Dieu a fait ; ils étendent leur charité à ces pauvres espèces abandonnées ou persécutées chez nous. Dans toutes les rues, il y a de distance en distance des vases pleins d’eau pour les chiens du quartier, et ils font quelquefois, en mourant, des fondations pieuses pour qu’on jette du grain aux tourterelles qu’ils nourrissent pendant leur vie. »

Portrait de Julia de Lamartine, peinte par sa mère Mary Ann Birch