Plonger dans l’histoire de l’Egype antique, c’est embrasser trois millénaires au cours desquels se succèdent périodes de chaos et de stabilité, divisions et unifications du vaste territoire qui borde le Nil. De plus, les cosmogonies varient selon les dates et les lieux, elles se complètent, se copient, s’unissent.
Autant dire que cela demande aux indigènes des pâles monothéismes que nous sommes un esprit grand ouvert et un effort d’imagination soutenu.
Le roi d’Egypte, appelé pharaon à partir du premier millénaire avant J.-C., reçoit des dieux la totalité de la propriété de la terre, à charge pour lui d’en assurer l’ordre et la prospérité contre les forces du chaos qui les menacent chaque jour. A cette fin, il est le seul à être autorisé à faire face aux dieux et à procéder aux rituels quotidiens.
En pratique, ne possédant pas le don d’ubiquité, ce sont les prêtres les plus hauts placés dans la hiérarchie du clergé qui accomplissent ces rituels.
Au fil des siècles, un dieu en particulier est associé à la souveraineté du roi : Amon, Imen en égyptien, de Thèbes.
A la vérité, dans les temps les plus reculés, le dieu principal de Thèbes est Montou, dieu faucon. Mais à partir du Moyen Empire (2150 – 1800 avant J.C.) il se fond peu à peu avec le dieu Rê d’Héliopolis, auquel il emprunte des caractéristiques, et finit par s’assimiler à lui au Nouvel Empire (1550 – 1070 avant J.C.) et primer sur les autres dieux du panthéon.
Le clergé d’Amon est puissant et riche. Le temple d’Amon à Thèbes a atteint une superficie de vingt cinq hectares, ce qui ferait de lui le plus vaste édifice religieux de toute l’Antiquité méditerranéenne. Il possède également une grande part des terres égyptiennes, grâce, notamment, aux nombreux sanctuaires disséminés sur tout le territoire.
A la Troisième Période intermédiaire (1100 – 650 avant J.C.) l’Egypte est divisée. Grosso modo, au sud règnent les prêtres d’Amon, au nord, les pharaons, de différentes dynasties et de diverses origines géographiques.
C’est à ce moment qu’entrent en scène les épouses du dieu Amon.
A l’origine, le titre est porté par les épouses ou les mères de pharaons pour mettre en avant leur rôle cultuel. La première épouse du dieu Amon serait Ahmès-Néfertary, épouse d’Ahmosis, durant le Nouvel Empire, qui est représentée aux côtés de son royal époux face au dieu. Cette image met en lumière le rôle important pris par certaines reines dans le gouvernement du royaume.
Mais avec l’avènement des prêtres à Thèbes, le titre désigne la grande prêtresse d’Amon qui domine le clergé féminin.
D’abord, elle participe au gouvernement sous l’autorité du grand prêtre. Puis les équilibres politiques entre le sud et le nord se modifient. Alors, la grande prêtresse est nommée par le pharaon en place. Elle est généralement une de ses filles.
Elle incarne ainsi l’unité spirituelle malgré la division politique. Cette méthode rappelle celle initiée par Sargon en Mésopotamie.
Dès lors, ses attributions prennent une ampleur royale, son pouvoir dépassant celui du grand prêtre et égalant celui du pharaon.
Une inscription dit de l’épouse du dieu Amon Chépénoupet II : « Il a été décrété pour elle la royauté des Deux Terres et sa place est promue dans toutes les contrées. »
En plus de ses attributions de reine, l’épouse du dieu entretient avec Amon une relation charnelle aux fins de le satisfaire pour préserver l’ordre et l’harmonie de l’univers. En ce sens, elle incarne la « main d’Atoum », la part féminine nécessaire au dieu démiurge pour créer le monde, Atoum étant l’individualité d’Amon-Rê au crépuscule. Elle est alors représentée en train d’enlacer le dieu.
En qualité de « main d’Atoum » elle protège également la souveraineté du pharaon, le récit sacré établissant l’alliance entre le sud et le nord.
Et parce qu’elle est garante de l’autorité du pharaon, elle est astreinte au célibat, afin de ne pas mettre au monde un rival qui pourrait arguer de son ascendance divine pour revendiquer les terres du nord. Ce célibat a été associé à une exigence de virginité, ce qui est une interprétation quelque peu ethnocentrée. Comme dans l’institution du gagum mésopotamien, ce qui est recherché est l’absence d’héritier, et non une pureté génésique. De plus, dans une civilisation patriarcale, le célibat signifie l’absence de soumission à une alliance matrimoniale, ce qui garantit l’indépendance de l’épouse du dieu, hors ses relations avec les pharaons.
Véritable reine, l’épouse du dieu bénéficie des honneurs des protocoles, que ce soit lors de son intronisation, de ses apparitions ou de ses déplacements. Il est notamment prescrit qu’à « chaque fois qu’elle viendra dans le temple d’Amon lors de chacune des fêtes processionnelles du dieu, les prophètes, les pères divins et le personnel du temple viendront à elle. »
Malgré l’absence de descendance « naturelle », des dynasties de grandes prêtresses sont fondées par le mécanisme de l’adoption. L’épouse du dieu titulaire adopte la fille du pharaon en place.
En plus de cette stratégie d’adoption qui assure une grande stabilité à l’institution d’épouse du dieu – elle s’éteint brutalement avec l’invasion perse en 526 avant J.C. – le recrutement du personnel du harem de la grande prêtresse est l’occasion de privilégier de puissants alliés par l’engagement de leurs filles. Cette distinction s’accompagne souvent de la nécessité pour les heureux élus de doter les jeunes recrues au bénéfice du domaine d’Amon.
Le harem, aussi nommé corps musical, de l’épouse du dieu est composé des chanteuses de la résidence d’Amon, qui sont le premier cercle de la grande prêtresse. Comme l’épouse du dieu, elles seraient soumises à l’obligation de célibat. Puis viennent les suivantes. Toutes vivent dans un palais à proximité du temple d’Amon et jouissent du prestige de leur fonction. Le quotidien est administré par le grand intendant de l’épouse du dieu et une cohorte d’employés spécialisés et d’esclaves.