Danse orientale et Occident

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La danse révèle le récit civilisationnel dans lequel elle est pratiquée. Ainsi, les danses autorisées et considérées comme « honnêtes »* en Occident, sont les danses où le corps en pénitence est redressé par sa quête de sens.

La danse en Occident est forcément celle d’un corps « sale », divisé, en quête d’âme.

L’Occident a savamment développé les gestuelles qui interdisent au corps de parler en décrétant qu’il est des gestes et des attitudes à proscrire et des critères constitutifs d’une beauté socialement établie à remplir.

De plus, la danse occidentale est celle de parties privilégiées du corps : la tête, le buste, les bras, les jambes et les pieds. Le danseur occidental est un « homme-squelette, ossature à mouvoir par les muscles et qui du sexe n’a rien à dire. »**

En Occident, c’est seulement dans le cadre de ses limites héritées de la doctrine chrétienne, que la danse est considérée comme esthétique et acceptable, en ce qu’elle ne conduit pas « à coller à la femme. »*

Cette conception de la danse produit des techniques. Lesquelles techniques prétendent pouvoir exprimer la totalité des émotions humaines, au plus haut degrés de leurs nuances et de leur complexité.

C’est là, prétention de doctrinaire qui s’ignore. Car comment exprimer la volupté, de surcroît la volupté féminine, au moyen de techniques qui sont les conséquences directes de son interdiction et de sa condamnation ?

Quand les danses occidentales se mêlent de volupté, elles tombent souvent dans l’explicite, voire dans l’obscène, tout simplement parce que leurs techniques contiennent l’interdiction d’un tel sujet.

Bien entendu, les « autorités culturelles » occidentales en charge de dire ce qu’est la danse, n’assument pas ouvertement de reprendre la doctrine des Pères de l’Eglise. Sans grande subtilité, elles s’abritent derrière l’argument qu’elles ne connaissent pas la danse orientale et n’ont pas reçu l’enseignement nécessaire pour déterminer la qualité d’une danseuse.

Considérant que ces « autorités » sont financées par l’impôt avec pour mission d’oeuvrer à l’émancipation du plus grand nombre par la diffusion de l’Art, il est légitime de se demander pourquoi elles n’acquièrent pas les savoirs qui leur manquent afin de remplir loyalement leur fonction.

Au lieu de cela, elles se réfugient, au mieux, dans une vision condescendante de la danse orientale. Elles la considèrent comme une discipline figée dans le passé, l’objet de cultures fantasmées, inaltérables, où tous les individus partagent les mêmes représentations et sont inaptes à toute innovation personnelle.

Ainsi, le discours médiéval sur les danses « déshonnêtes » est-il parfaitement opérant dans la civilisation occidentale du 21ème siècle. Il conduit à exclure la danse orientale des grandes scènes de la danse et de leurs moyens matériels de création. Ce qui aboutit à lui interdire toute forme contemporaine.

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Dès lors, il n’est pas surprenant que la danse orientale survive en Occident souvent sous son aspect le plus chichiteux et, parfois, le plus vulgaire.

Il faudrait rendre grâce aux soldats napoléoniens qui, dit-on, donnèrent son appellation de « danse du ventre » à la danse orientale lorsqu’ils découvrirent les danseuses égyptiennes. Avec candeur, ils pointèrent le tabou de la danse occidentale : l’exclusion de l’abdomen, du bassin, de la cambrure et du sexe, qui est la quête des danses occidentales, qui visent à la manifestation d’un corps idéal, c’est à dire maîtrisé par l’âme.

Au contraire, la danse orientale est établie sur un corps organique, complet, cambré et désirant, vierge de toute condamnation, un corps pur.

Car, tant par ses sources africaines que par ses sources asiatiques, la danse orientale est une danse de satisfaction, une danse du « reptilien ». Il s’agit pour la danseuse de s’entraîner à sa propre volupté. Seul l’accomplissement du désir compte, et la technique basée sur la courbe, la répétition, la lenteur, l’intensité et la précision est à son service.

Cette technique est apparue dans les civilisations antiques, mésopotamiennes et égyptienne notamment, où la jouissance des Hommes – plus particulièrement celle des privilégiés qui accèdent au naos*** – est une offrande pour satisfaire les dieux. L’ivresse autant que les ébats sexuels sont rituels durant les fêtes d’Hathor, d’Amon-Rê et, vraisemblablement, durant celles, plus séculaires encore, d’Inanna.

Le temps est venu pour l’Occident de se défaire de ses interdits quant à la danse et d’accueillir la « danse du ventre », la danse de la volupté féminine, la danse du corps féminin dans sa totalité.

*J.Leclercq, « Sermon ancien sur les danses déshonnêtes »

**Pierre Legendre, « La Passion d’être un autre »

***Naos : le saint des saints dans l’architecture du temple divin antique, le lieu le plus reculé où vit le dieu dans une quasi obscurité. Lieu dont l’accès est absolument interdit au commun des mortels.