Dans les civilisations islamiques, l’almée est une poétesse, une chanteuse et une musicienne.
Or, poésie, chant et musique sont des arts portés à leur accomplissement. Leur maîtrise est une discipline.
Sa formation comprend également la connaissance des mouvements de l’âme, des rétrécissements du coeur, et des sagesses tirées de l’enseignement des savants. C’est donc une érudite à la culture vaste et aux paroles recherchées.
Artiste professionnelle rémunérée par ses clients, elle se déplace à leur domicile pour agrémenter leurs moments de détente et leurs soirées.
Elle est tenue en haute considération, car elle se produit sans découvrir son visage. Soit qu’elle conserve ses voiles, soit qu’elle travaille derrière un rideau qui la sépare de l’auditoire masculin.
Toutefois, il semble qu’en dépit du respect des lois de la pudeur, certaines vivent selon des mœurs plus relâchées que leur apparence ne le laisse entendre. Au début des années 1800, le lettré et réformateur égyptien Rifa’a al Tahtawi relève que, si leur instruction et leur éloquence sont égales à celles des comédiennes parisiennes, leur vie intime est nettement plus mouvementée.
Quoi qu’il en soit, l’almée ne danse pas.
Comme en témoignent « Les Mille nuits et une nuit » qui différencient clairement les professions d’almée et de danseuse. Plus tard, en 1843, Gérard de Nerval, qui voyage en Egypte, insiste également sur cette distinction.
Toutefois, un glissement sémantique existe, qui fait dire « almée » pour « danseuse ». De nos jours, la confusion existe en occident comme en orient. Il est possible qu’elle soit née au XIXe siècle, quand les danseuses se vendent pour des almées aux voyageurs occidentaux. Tandis que les désordres politiques, l’insécurité et les taxes croissantes conduisent les unes et les autres vers la prostitution, et des conditions de vie sordides.
Cependant, les almées ne sont pas les seules érudites.
Dans les harems, hermétiquement clos, se trouvent des esclaves dont les capacités sont repérées dès l’enfance. Formées à la poésie, au chant, à la musique, à la danse, à l’histoire et à la jurisprudence, elles deviennent des divertissements de grand luxe.
Rien que pour les plaisirs de leur propriétaire. Néanmoins, il peut honorer des amis intimes de leur présence, afin qu’elles embellissent leurs aimables réunions. Dans le cas où l’un éprouverait un vif désir de l’esclave d’un autre, une cession ou un don peut intervenir.
En Andalousie, à la cour de l’émir Hudhayl b. Razîn (1012 – 1045) une artiste ravit les sens et les esprits de ces hommes affolés d’arts et de sciences : « Nul ne vit à son époque de femme d’allure plus gracieuse, de mouvements plus vifs, de silhouette plus fine, de voix plus douce, sachant mieux chanter, excellant plus dans l’art d’écrire et dans la calligraphie, d’une culture plus raffinée, d’une diction plus pure ; […] elle connaissait même la médecine, l’histoire naturelle et l’anatomie, et d’autres sciences où des savants de l’époque se seraient révélés inférieurs. Elle excellait à la lutte, à faire de la voltige en tenant des boucliers, à jongler avec des lances, des sabres et des poignards effilés. »*
Cette perle parmi les perles a coûté la bagatelle de 3.000 dinars, auxquels s’ajoutent les frais engagés pour son entretien et celui de ses esclaves.
Dérobées aux regards du commun des mortels, ces artistes disparaissent avec la culture des harems.
* Pierre Guichard, Al Andalus